Son interview complète dans L'équipe Mag d'hier :
Citation
« Si tu penses à l'erreur, tu es mort ! »
Elu meilleur gardien de L1 la saison passée, Salvatore Sirigu, le dernier rempart du PSG, porte un regard éclairé sur ce qu'est aujourd'hui le métier de gardien de but.
A 26 ans, Salvatore Sirigu sait qu'il a encore beaucoup de choses à apprendre. Mais c'est aussi pour cela qu'il aime autant son métier de gardien de but. « En cage » depuis sa plus tendre enfance, dans son petit village de la Caletta, en Sardaigne, l'international italien (6 sélections), devenu en 2 saisons l'un des joueurs emblématiques du PSG, livre ici toute la richesse et la complexité d'un poste très exposé aux critiques, et pourtant, selon lui, encore incompris.
Cette saison, le PSG confisque le ballon, près de 65% en moyenne. Vous avez finalement peu d'arrêts à effectuer (21 en 11 matchs de L1). Ca doit engendrer de la frustration, non ?
C'est vrai que ça a un côté frustrant.Plus le match se rapproche de la fin et plus tu sais que la concentration ne doit pas retomber, même si tu n'as pas fait d'arrêts jusque-là. Tu sais qu'il suffit à l'adversaire de tirer une seule fois, que ton match se joue sur une seule possibilité, par sur plusieurs. Et c'est parfois très difficile de rester concentré.
Est-ce plus facile pour vous de jouer contre Marseille au Vélodrom, où vous savez que vous serez sollicité, plutôt que contre Bastia à domicile, où vous avez eu un ballon à jouer ?
Je cherche à avoir la même motivation pour tous les matchs. L'an passé, je me souviens du match à Troyes (le 13 avril, victoire du PSG, 1-0), trois jours après avoir joué le Barça. Entre les deux, il avait été difficile de s'entraîner, de retomber dans le Championnat. Aller à Troyes, ça semblait facile et, à l'arrivée, ça a été très difficile. Heureusement, à l'échauffement, j'ai senti que le danger pouvait arriver. Si je n'avais pas été concentré, on aurait peut-être perdu. Pour moi, aujourd'hui, l'adversaire n'a pas d'importance.
Quels sont les petits trucs qui vous maintiennent en vigilance quand le jeu se déroule de l'autre côté du terrain ?
Un jour, un entraîneur m'a expliqué qu'il existait trois phases de concentration pour le gardien. Lorsque le jeu est de l'autre côté du terrain, il faut avoir une vision simple, sur le ballon, comme si tu regardais le match. Quand la balle arrive vers le milieu du terrain, il faut regarder, avec une vision périphérique, tout ce qui se passe devant toi. Les mouvements des adversaires, chercher à capter où peut aller le ballon, quel peut être le danger, le placement de mes défenseurs aussi. Et puis, il y a la troisième phase, celle de l'intervention dynamique, de l'arrêt.
A métier singulier, entraînement singulier : c'est quoi un entraînement de gardien ?
Il y a une partie spécifique avec l'entraîneur des gardiens, qui est fondamentale. Dans un match, la différence se fait par la vitesse. Un plongeon au sol, une sortie réussie, ça se joue à un centième de seconde. L'entraînement sert à soigner les détails, répéter les gammes, être attentif sur un échauffement, sur des choses très simples, un plongeon à gauche, à droite, un plongeon rasé. Si je répète ces gestes-là, je les ferai plus vite en match.
Quels sont les domaines dans lesquels vous vous sentez sûr de vous aujourd'hui et ceux où vous devez encore progresser ?
Je dois m'améliorer sur tout. Je cherche à être perfectionniste et, en général, je laisse l'entraîneur des gardiens décider des séances. Pour s'améliorer, un gardien doit être ouvert mentalement, prêt à apprendre des choses même s'il pense qu'elles ne lui serviront pas.
Vous parlez d'ouverture d'esprit. En étant sans cesse dans la concentration, la réflexion, un gardien de but n'est-il pas l'intellectuel du foot ? Albert Camus a notamment été...
(Il coupe.) Albert Camus a été gardien de but, je sais ça. En Italie, il y a un poème d'Umberto Saba qui s'appelle Goal, qui décrit le moment d'un but, les pleurs d'un gardien qui est consolé par ses coéquipiers, quand l'autre gardien, qui est censé faire la fête est tout seul dans l'autre partie du terrain. Pour moi, c'est une vraie image de ce qu'est le foot. Quand je vois quelqu'un qui prend un but en face de moi, je suis content pour mon équipe, évidemment, mais j'espère toujours que c'est un but qu'il ne pouvait pas arrêter. Car si c'est un but qu'il pouvait éviter, ça me fait de la peine. Je sais ce que cet instant veut dire pour lui.
Est-ce donc un métier d'intellectuel alors ?
Je ne sais pas. Peut-être que l'on exagère aussi par rapport à cela. Les autres joueurs doivent eux aussi avoir une concentration importante, mais le gardien doit la faire durer plus longtemps encore. Quand je fais un arrêt, mentalement j'ai déjà pensé bien avant à ce que j'allais faire. Après c'est l'instinct, les qualités athlétiques, les réflexes qui entrent en compte. Les joueurs de champ, eux, sont plus dans la dynamique du match et ils ont moins de temps pour être concentrés. Ils sont dans le vif du jeu et il n'y a pas beaucoup de place pour la réflexion.
Vous souvenez-vous de la dernière erreur qui vous a rongé l'esprit ?
Je me souviens du match perdu contre Rennes à la maison (1-2, le 17 novembre) l'an passé.On avait pris un but sur coup franc. J'avais parlé avec Blaise (Matuidi) qui était l'homme de base de mon mur en lui disant : « Va à gauche ! » Mais il ne m'a pas entendu, et j'ai commis l'erreur de ne pas insister. Je suis retourné dans le milieu du but et le ballon a contourné le mur. C'était ma faute, cela m'a rendu triste. Je me suis énervé contre mes partenaires alors que je n'avais pas le droit car c'était mon erreur. Pendant plusieurs jours, j'ai vraiment été mal.
Pensez-vous que c'est un métier qui demeure mal compris ?
Il n'y a pas beaucoup de connaissances sur ce poste. Parfois, j'entends des commentaires du style : « Il aurait dû sortir de ses 5,50 m . » Mais tu sais combien ça fait 5,50 m sur la vingtaine de mètres de longueur ? C'est un appartement de 100 m² ! Tu fais comment pour te déplacer dans 100 m² en quelques secondes ? Personne ne le dit, ça ! Et puis, les ballons vont tellement vite aujourd'hui qu'ils ont totalement changé le métier de gardien de but. Depuis quelques années, on veut favoriser le spectacle et le spectacle, c'est le but. Les ballons sont fabriqués pour aller au fond. Parfois, on juge de manière un peu trop agressive les choses. Mais être gardien de but, c'est supporter cela et accepter les critiques.
C'est un métier d'autant plus exposé qu'une erreur est souvent fatale alors qu'un attaquant qui va manquer un duel aura l'occasion dans le match de se rattraper...
C'est aussi ce qui fait la beauté du jeu. C'est beau de gagner quand il y a de la difficulté. Si c'est trop facile, ça ne sert à rien de jouer ! Quand tu es sur le terrain, que tu es bien dans ta tête, tu ne penses qu'à aider l'équipe. Si tu penses à l'erreur, tu es mort ! Si tu n'y penses pas, parfois elle n'arrive pas.
L'histoire du foot italien regorge de grands gardiens : Zoff, Pagliuca, Peruzzi, Toldo, Buffon aujourd'hui. Quels modèles vous ont influencé ?
Quand tu es italien, que tu as dix ans et que tu vois Buffon en Serie A à 17 ans, puis qui gagne le Mondial 2006 en étant le meilleur gardien du monde, c'est normal que tout une génération l'ait eu en adoration. Pour nous, c'était le prototype du gardien. Après, j'ai toujours observé tous les gardiens. J'ai regardé beaucoup de vidéos, même des gardiens de Deuxième Division. Je n'ai pas vraiment eu une seule idole dans ma vie. Dans ma chambre, il y avait des photos de Buffon, Toldo, Pagliuca, Peruzzi, mais aussi Chilavert, Barthez ! Je continue aujourd'hui de regarder tout le monde car il y a toujours quelque chose de bon à capter.
Vous êtes la doublure de Buffon en équipe nationale, estimez-vous être loin de lui ?
Déjà, j'ai la chance d'être là et je suis content de ce que j'ai fait. Maintenant, Buffon a vraiment un truc en plus. Ce serait même une erreur de me comparer à lui. Je ne veux pas me poser de limites. Buffon fait sa carrière, moi, je suis mon parcours et j'aimerais pouvoir me retourner à la fin en sachant que j'ai fait le maximum.
Etes-vous d'accord si l'on vous définit comme un gardien classique, à la gestuelle plutôt sobre ?
Je ne sais pas. Je pense, oui. Parfois, je me souviens d'un arrêt, et quand je le regarde à la télé, il est totalement différent de comment je l'ai vécu sur le moment. C'est la particularité du poste. Tu vois une chose depuis tes buts, qui est en fait complètement différente.
C'est votre troisième saison au PSG. Avez-vous le sentiment d'être, avec Matuidi, le joueur qui peut créer du lien dans cette équipe et qui l'incarne le mieux ?
Pas vraiment. Les gens apprécient que je parle bien la langue, que je me sois bien intégré. Mais je ne revendique pas le statut de leader, je suis à la disposition des copains, de l'équipe et je cherche à dire les choses justes au moment juste. Le reste ne m'intéresse pas. On est tous importants mais personne n'est fondamental.
Dans une équipe composée de stars, la notion d'unité existe-t-elle à la même échelle que dans une équipe moyenne ?
Pour arriver à être une star, il faut avoir cette qualité. Etre professionnel, c'est justement se dédier à l'équipe à 110%.
Mais est-ce que ces joueurs n'existent pas d'abord pour eux, avant d'exister pour le groupe ?
Absolument pas. On l'a déjà démontré et je pense que le match à Marseille (victoire 2-1, le 6 octobre), sur ce plan-là, est emblématique de ce qu'est ce PSG. On a vraiment une équipe avec un cerveau, un cœur, où tout le monde se sacrifie et est content de le faire. Il y a un groupe avec des qualités humaines monstrueuses.
Dans l'histoire, plusieurs gardiens l'ont été par défaut ou par manque de talent dans le champ quand ils étaient jeunes. Pour vous, est-ce vraiment une vocation ?
Mon grand-père et mon père étaient défenseurs. Pour moi, c'est arrivé comme cela. La première fois que je suis allé dans les buts, c'est parce qu'il manquait un gardien. J'avais 7-8 ans et je jouais avec des garçons plus âgés. A la fin, j'ai dit à mon père : « Pourquoi je devrais retourner sur le terrain si je me sens bien là ? » il m'a alors répondu : « Mais reste là, amuse-toi ! » J'ai trouvé des sensations positives dans les buts. En plus, j'étais asthmatique et ma mère, dès qu'elle a su cela, m'a dit : « Restes-y, comme ça, tu ne cours pas et tu ne seras pas malade ! » Je faisais la chose qui me rendait heureux et, en plus, j'avais l'approbation de mes parents, c'était parfait.
Entretien réalisé par David Loriot, pour L'équipe Magazine.