Pour ceux qui hésiteraient à regarder
Justified, une très bonne description de l'ambiance de la série.
Citation
Justified – Le temps des mots
Reconduite pour une quatrième saison par la chaîne FX, Justified confirme que l'on peut faire de l'excellent neuf avec de l'excellent vieux. Western moderne inspiré par les oeuvres de l'écrivain prolifique Elmore Leonard, la série créée par Graham Yost a définitivement trouvé sa place dans le paysage de la fiction télévisée américaine et a imposé un ton original, fortement inspiré de la littérature, qui la place presque hors du temps.
La saison 2 avait été celle de l'accession à une forme de reconnaissance. La troisième est à l'évidence celle d'une grande maturité et d'une maîtrise remarquable de l'arc narratif principal comme des intrigues secondaires. Le rôle du marshal Raylan Givens semble fait pour Timothy Olyphant qui se trouve parfaitement encadré par Walton Goggins, Natalie Zea et Jeremy Davies cette saison encore mais également par Neil McDonough qui joue un malfrat de Detroit débarqué à Harlan County, Kentucky.
Comme le notait Leonard, 86 ans, dans un récent entretien accordé au Wall Street Journal "Tim Olyphant joue son personnage exactement comme je l'ai écrit. Il est décontracté et calme en toute situation et quand il dit 'si je dois sortir mon flingue, cela va être une autre histoire', ça marche. Il y a très peu d'acteurs capables de dire leur texte exactement comme vous l'avez conçu en écrivant le livre".
Ce phrasé si particulier -qui traverse d'ailleurs une grande partie de l'oeuvre de l'écrivain- a été conservé et parfaitement restitué par Yost. Il y a dans la diction de Givens, mais également et surtout dans celle de Boyd Crowder, une fausse nonchalance, une décontraction feinte, une pratique de l'euphémisme qui met encore mieux en évidence la menace, tout à fait uniques. Le langage employé par les deux personnages principaux se démarque totalement des lignes de dialogues habituellement employées dans les séries.
Avec Justified, on a l'impression que les paroles sortent tout droit d'un texte écrit qui est récité, un peu à la manière d'un dialogue de théâtre. On n'imagine plus personne parlant de la sorte aujourd'hui, à l'aide de phrases longues, dépourvues de la moindre hésitation, portées par une diction traînante et monocorde, aucune syllabe n'étant prononcée plus haute qu'une autre. On peut imaginer que cette manière "traînante" de s'exprimer est propre à la région rurale du Kentucky: on la retrouve chez Dickie Bennet (Jeremy Davies) comme chez sa mère Maggs (Margo Martindale) dans la saison 2.
En fait, cela donne surtout le sentiment d'être emprunté à une autre époque sans qu'il soit possible de la dater précisément. D'une certaine manière, cette diction inspire une impression d'intemporalité: Givens et Crowder sont des animaux qui semblent avoir traversé l'histoire, une espèce en voie de disparition et seulement observable dans ce coin enclavé des Etats-Unis. Il est intéressant de noter que le personnage d'Ellstin Limehouse (qui intervient dans la saison 3) s'exprime lui en forçant par instants son accent de Noir-Américain du Sud des Etats-Unis comme pour mieux signifier que rien n'a vraiment changé dans cette partie du pays depuis la fin de la ségrégation.
L'image que donne Justified du Kentucky est celle d'un territoire enchâssé dans ses (mauvaises) habitudes, ses traditions, ses rivalités séculaires, ses querelles personnelles dont chaque génération hérite de la précédente. Le langage compassé des personnages vient renforcer ce poids du passé: comme si cela aussi leur avait été légué pour le meilleur et pour le pire. Les trafics (en tous genres depuis que la Prohibition a pris fin) relèvent presque du sport local. De même, les affaires se règlent de manière expéditive, sans forme de procès ou de mauvaise conscience, une arme à la main. A la manière dont le territoire a été conquis.
La violence est omniprésente et dispensée avec une facilité et une aisance qui la font apparaître comme une composante ancienne et presque naturelle du quotidien. Les coups, les blessures, les exécutions sont acceptées comme le cortège d'un certain mode de vie. Dans cet univers, l'application de la loi est d'abord un jeu de patience et requiert une bonne dose de cynisme. Givens ne cherche pas à éradiquer le crime, il se contente de le combattre en sachant qu'il ne peut pas gagner. Mais, ne rien faire serait pire.
Givens est marshal (le plus ancien corps fédéral américain créé en juillet 1789) comme Dickie est un malfrat ou Boyd Crowder un pionnier attaché à la terre dans laquelle sa famille plonge ses racines. Chacun sait qu'il ne pourrait pas faire disparaître les autres et que son destin est de vivre à leurs côtés. En essayant de tenir au mieux leurs rôles car c'est ainsi qu'ils ont été répartis. Après eux, leurs enfants prendront la relève.
Le succès de la série est telle qu'Elmore Leonard a décidé d'écrire un nouveau volume des aventures de Raylan Givens près de 20 ans après Pronto paru en 1993 et qui mettait pour la première fois l'homme au Stetson en scène.
source:
Le Monde des séries