Article intéressant de Antoine Vayer (Professeur d’EPS et ancien entraîneur de Festina) dans Libération.
Des robots distancés par des extraterrestrespar Antoine VAYER
Après 15 étapes, la Grande Boucle estivale fonce à 40,783 kilomètres/heure de moyenne. On a toujours à l’esprit le record historique du Giro cette année, dont le profil était bien plus accidenté et difficile que celui du Tour : le tour d’Italie 2009 a été couru à la vitesse record de 40,14 kilomètres par heure. Un directeur sportif français (dont les coureurs gagnent) affirme que ces vitesses sont réalisées grâce aux vents d’ouest quand le parcours suit les aiguilles d’une montre. Hé-hé, le vent vient de l’est cette année, comme avec Sergueï Ivanov, son équipe Katusha et ses missiles russes. Le vent du levant qui souffle est celui des hormones de croissance, des EPO bio-similaires et des produits nouveaux dits «neurosensibles». Le Giro complètement toqué présageait le spectacle de juillet, qui ne l’est pas moins.
Raid splendide. Le Tour ? Un spectacle grandiose, mais je maintiens qu’il ne s’agit pas de sport car les règles sont tronquées par un doping organisé. Vous me direz : c’est pas nouveau ! Ce qui l’est, c’est que la traque aux dopés semble affaiblie. Vendredi, dans l’étape Vittel-Colmar, trente robots depuis Sonderbach, au pied du Platzerwasel, ont avalé à une vitesse infernale les 8,6 kilomètres d’ascension à 7,48 % de pente moyenne : 21,46 kilomètre/heure en poussant 420 watts, ce que je considère comme un dopage collectif avéré. De plus, ces trente robots ont été distancés par un extraterrestre, auteur d’un raid splendide : l’Allemand Heinrich Haussler, vainqueur ce jour-là à l’issu d’une échappée solitaire digne de celui de Tyler Hamilton (suspendu pour dopage) en 2003 à Bayonne ou de Michael Rasmussen (exclu du Tour 2007 pour avoir joué à cache-cache avec l’agence antidopage) sur le Ballon d’Alsace en 2005. Dès lors, on pouvait pressentir le pire.
Mais parlons de Verbier. Alberto Contador a été merveilleux avant-hier. Il a escaladé Verbier en 20’55’’, à 24,38 kilomètre/heure de moyenne depuis le Châble sur 8,5 kilomètres à 7,6 % de dénivelé moyen. Soit 490 watts en puissance étalon… après cinq heures de vélo. La montée valaisane, relativement courte, pondère certes l’exploit. C’est à Bjarne Riis (aujourd’hui patron de la Saxo Bank des frères Schleck) et sa montée sur Hautacam en 1996 de 480 watts qu’appartient le record du monde du dopage. Le Riis d’Hautacam, c’est encore mieux qu’Armstrong du temps de sa splendeur. Et Lance ? Juste en dessous de ses meilleurs tours. A Verbier, entre lui et Contador, il y a sept autres extraterrestres. Dont les frères Schleck. Derrière, l’usage nouvellement légalisé des bons vieux corticoïdes permet à des gars de faire bonne figure à 425 watts plutôt que de finir comme à leur habitude dans le ventre mou. Un directeur technique national m’avait glissé il y a vingt ans qu’il fallait cela pour ne pas qu’«ils» passent aux produits «lourds», genre EPO.
Côté physio, on est gâté. Pour Contador : avec un effort de vingt minutes à 90 % de VO2max, son poids de 62 kilos, sa puissance maximale aérobie serait de 493 watts, ce qui donne une consommation d’oxygène de 6,17 litres/minutes : 99,5 ml/min/kg ! Et le pied de la montée de Verbier a été torché après un «échauffement» de 200 kilomètres à 27 km/h. Des «repères» égaux à ceux de l’Anglais Bradley Wiggins, champion olympique de poursuite… sur un anneau plat et pendant quatre kilomètres seulement. Renversant.
«Un doigt». Et côté stigmates ? Les garçons arrivent sur les podiums frais comme des gardons, avec des petites grimaces pour nous rappeler qu’ils sentent tout de même un peu leurs jambes. On va vous donner quand mêmes quelques débuts d’explications. Qui tiennent à l’usage collectif de cocktails à base de neuroleptiques extrêmement puissants utilisés pour les syndromes maniaco-dépressifs. Notons l’usage d’anticonvulsivants, de médicaments hypertenseurs qui «régulent» la pression artérielle, mise à rude épreuve par les transfusions qui changent les volumes sanguins. Les preuves sont indirectes, comme peuvent l’être les watts. Mon ancien collègue prof d’EPS Manolo Saiz, en quittant le Tour avec les équipes espagnoles en 1998, avait dit : «On a mis un doigt, un doigt au cul du Tour.» Ce père spirituel de Laurent Jalabert et de Contador a ensuite pensé une bonne partie du cyclisme tel qu’il est aujourd’hui à travers le «Pro Tour». Avant d’être bêtement arrêté par les stups dans l’opération Puerto. Moi si j’étais sur Twitter comme Lance, j’écrirais par exemple : «Fist-fucking for doping-agency and police»
