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Uran croit en son étoile
Des narcotrafiquants à l’exil italien, le Giro raconte l’ascension tourmentée de Rigoberto Uran, le maillot rose.
Au pied de la Madonna Nera d'Oropa où de sombres nuages s'effilochaient sur le dome verdatre de la basilique, Rigoberto Uran a laissé transparaitre, à vingt-sept ans, une fragilité insoupconnée, la où chacun s'attendait à ce qu'il se comporte en « patron », lui, le porteur du maillot rose, sur le sanctuaire d'Oropa, la montagne de Pantani. « Vingt-cinq secondes face à Quintana, ce n'est rien, le Giro est encore long », a-t-il commenté, philosophe, sans s'étendre sur les relations équivoques qu'il entretient avec le chef de file des Movistar.
En enfilant l'autre jour le maillot rose à Barolo, c'est à son pere qu'il pensait, Rigoberto de Jesus, assassiné par erreur dans une rixe entre narcotrafiquants. Uran avait douze ans. Devenu soutien de famille, il s'occupe de sa mere Aracelly, tombée en dépression, et de sa soeur Martha Lucia (4 ans a l'époque). Et se met à vendre pour subsister et pour 25 euros par mois des billets de loterie dans les rues d'Urrao, province d'Antioquia (à 150 km au nord-ouest de Medellin) comme ces personnages faméliques de Garcia Marquez dont il a lu les livres et qu'il a remercié l'autre jour, sur Twitter « pour tout ce qu'il avait donné à l'humanité ».
Par fidélité pour son pere, il court à velo, en chemise et chaussures de ville. C'est en riant qu'il raconte sa premiere course. « Un chrono que j'ai gagné. Mon oncle m'avait dit, va aussi vite que possible et tu t'arretes quand tu verras beaucoup de gens. » A Urrao, les gens lui donnaient à manger pour l'aider. « Cette époque m'a marqué, je ne l'ai pas oubliée. » Le soir, il s'en va escalader le col d'Urrao (1800m) à la maniere des athletes ethiopiens. Un club de Medellin, l'Orgullo Paisa, le recrute pour 200 euros par mois, grace aux subventions des entrepreneurs de la région. Il gagne le Tour du Venezuela, suit le Tour d'Italie, le Tour de France à la télévision, s’enthousiasme pour Laverde et Botero, qu’il voit passer à l’entraînement. Medellin est à l’époque la capitale de l’horreur. Devant les décharges à ordures, des pancartes recommandent « de ne pas jeter de cadavres ».
ÉMIGRÉ EN ITALIE À DIX-HUIT ANS
Conscient de sa valeur, il émigre en 2006, à dix-huit ans, en Italie ( «Pour offrir une vie plus décente à ma mère et aider ma soeur à faire des études de médecine » ). Il rejoint les rangs de la Tenax de Fabio Bordonali et s’installe près de Brescia, à Buffalora, chez les Chiodi. Melania ( « Ma plus grande tifosa » ) est une mère de substitution. Plus rien ne peut l’affecter, outre la mort de son père, qu’il évoque du bout des lèvres : « En ce temps-là, à Medellin, beaucoup d’innocents sont morts par erreur. »
En neuf années de professionnalisme, il passe de la Caisse d’Épargne, en Espagne, aux Belges de l’Unibet, en 2007, triste saison marquée par les fractures d’un poignet et d’une vertèbre cervicale en Allemagne, dans la descente du Riedberg. Il passe deux mois à l’hopital. « Je ne pouvais plus bouger, plus m’habiller, me laver, j’ai pensé que ma carrière était foutue, que je ne récupérerai jamais mon bras. »
En bon mercenaire, il évolue chez Sky l’an passé dans l’ombre de Bradley Wiggins, sur lequel il reste évasif. « J’ai bien fait de partir à l’Omega Pharma, là je suis le leader et, pour la première fois, j’ai une équipe à ma disposition. » Davide Bramati, son directeur sportif, l’a entouré de solides gregari – Pauwels, Poels, De Gendt et Brambilla – à l’ouvrage, hier, dès le pied de l’Alpe Noveis et tous séduits par cet anticonformiste, revenu de tout, qui écoute de la musique colombienne à tout-va, dans sa chambre, dans le bus, le matin, « au risque, dit-il, de leur casser les oreilles ». Hier, Quintana, surgi de nulle part, lui a repris 25 secondes. Quintana, c’est l’icône. « Le seul capable de grandes différences en montagne, mais je suis plus complet », dit-il. Ils ont le même agent, Giuseppe Acquadro (qui est aussi celui de Betancur) et, pendant un temps, ils partagèrent le même appartement à Pampelone. « Uran est le père spirituel de tous les Colombiens du peloton, ils respectent son parcours, sont tous admiratifs, » relève Acquadro. Hier, Uran n’a pas commenté l’assaut de Quintana. « Il prend tout avec une égale humeur, les victoires comme les revers, c’est ce qui fait sa force » estime Bramati, qui voit en son leader un mélange de « sérieux et de décontraction ». Uran, lui, continue de croire en son étoile. « J’ai toujours su que j’avais quelque chose de grand à faire dans ma vie. » D’une certaine façon, le Giro lui a donné rendezvous.
Philippe Brunel

ca donne envie de supporter le bonhomme.