Bon papier de Brunel dans l'Equipe qui charge un peu les Sky. Le rapprochement avec Conconi va leur faire plaisir

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Le triomphe de l’instinct
Coureur intuitif, Vincenzo Nibali a soufflé la Course des deux mers au rationaliste Christopher Froome.
EN DÉBOULONNANT Chris Froome de son piédestal lundi, par une offensive de grand style initiée dans le revers du mur de Sant’Elpidio, avec ses rampes effrayantes à trente pour cent, l’Italien Vincenzo Nibali n’a pas seulement « réinventé » Tirreno-Adriatico – qu’il s’attribue pour la deuxième année d’affilée –, mais il nous a rappelé ce qu’on oublie trop souvent, par conformisme ou ignorance : que le cyclisme reste par essence un sport d’humeur et d’instinct, soumis à l’inspiration de ceux qui en tissent l’histoire.
Loin, très loin de cet autre cyclisme aseptisé, élaboré par les préparateurs italiens au milieu des années 1980, dans le sillage de Francesco Conconi, et par tous ceux, émules ou non, qui ne voient dans le champion qu’un animal de laboratoire facile à programmer.
Une opposition de style et de philosophie qui a influencé la trame de Tirreno. Avec d’un côté les « rationalistes », Chris Froome et ses mercenaires de la Sky, Henao, Cataldo, Uran, qui parvinrent à cadenasser la course en imposant un train d’enfer dans toutes les ascensions, le regard vissé sur leur capteur de puissance, selon un mode opératoire « quasi chirurgical », la formule est de Maximilian Sciandri, technicien de la BMC.
De l’autre, les représentants de la vieille école, les « intuitifs », Nibali en tête, mais aussi Contador et Rodriguez, des attaquants- nés, toujours prompts à réinstaller le danger face à l’ordonnancement des Sky, quels que soient les risques encourus. « Jusqu’à Chieti (dimanche dernier), Froome et ses équipiers nous ont imposé leur règle puis il y a eu cette étape de Sant’Elpidio, la pluie, le froid, les routes étroites, un terrain difficile, accidenté, sur lequel certains mécanismes ne peuvent plus fonctionner et sur ce genre de terrain, ce sont les coureurs qui commandent », s’est réjoui Nibali.
Des attaques parfois « suicidaires »
Dans la semaine, il avait contesté sur Twitter l’utilisation en course des capteurs de puissance, qui permettent aux Sky de contrôler leur rythme de pédalage à la virgule près. « Plus que les oreillettes, ce sont les SRM qu’il faudrait interdire. Car, sans ces appareils, ils ne seraient pas capables de réguler leur allure, sur plusieurs kilomètres de pente, le compteur bloqué à 370 watts. »
Chris Froome, qui n’a pu refaire son retard hier lors du contre-la-montre (remporté par Tony Martin), aurait d’ailleurs gagné Tirreno sans cette étape atypique et dantesque à travers les Marches, sur les terres de Raphaël, sans cette pluie froide qui était venue durcir les muscles. Sans le courage, aussi, de Nibali. Autant d’éléments incontrôlables qui participèrent à laminer le train des Britanniques, subitement inopérant.
« Il a fallu que tout se conjugue pour que je parvienne à renverser Froome parce que j’aime le froid, les parcours difficiles, tout un contexte et un terrain qu’on ne trouvera jamais dans le Tour de France », regrette l’Italien, qui eut le mérite de ne jamais se résigner. Parce qu’il court toutes les courses, dit-il, pour les gagner ou « au moins pour tenter d’y laisser une trace ». Ce qui lui occasionna de grandes déceptions, comme l’an passé, lorsqu’il avait embrasé Liège- Bastogne- Liège dans la Roche aux Faucons avant de se faire « cueillir » par Maxim Iglinskiy dans le dernier kilomètre. Certains de ses échecs lui furent reprochés pour leur caractère « suicidaire ».
« J’ai souvent manqué de chance et de la chance il en faut toujours un peu », résuma l’Italien, déjà tourné vers Milan-San Remo, qu’il a si souvent enflammé dans la Cipressa ou sur le Poggio, l’an dernier encore, en compagnie de Gerrans et Cancellara. Sans parvenir à s’imposer. « Et pour cause, ce n’est pas vraiment une course pour moi, mais je suis italien, et j ’ aime la courir. Dimanche, quoi qu’il se passe, je tâcherai d’y jouer ma propre carte », lâcha-t-il, fidèle à son tempérament.
PHILIPPE BRUNEL
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