"PARFOIS, IL M'ARRIVE DE FAIRE UN TRAVAIL JOURNALISTIQUE"
Jeux vidéo : des sites sous pression
Les journalistes qui traitent de jeux vidéo sont-ils vendus, totalement vendus aux éditeurs de jeux vidéo à coup d'affiches publicitaires, de petits cadeaux, de ménages, de faveurs ? C'est la question que pose le "DoritosGate", un scandale interstellaire, né en Grande-Bretagne qui connaît aujourd'hui quelques échos en France. Dans quelles conditions travaillent les journalistes qui testent les jeux vidéo ? Peut-on leur faire confiance ? C'est le débat de cette semaine avec quatre invités : Gaël Fouquet, rédacteur en chef de Gamekult.com, Julien Chieze, co-fondateur de Gameblog.fr, sans oublier Usul, chroniqueur pour Jeuxvideo.com. Et au milieu de ces représentants de la presse web, Ivan Gaudé, le directeur de la rédaction de Canard PC, un magazine papier de référence.
Exclusivité mondiale : à l'occasion de la sortie de la nouvelle console Nintendo ce vendredi 30 novembre, nous recevons des acteurs majeurs de la presse spécialisée comme Canard PC ou Jeuxvideo.com pour... débattre de la question de l'indépendance de la presse. Oui, car il faut bien l'avouer, le choix du thème de l'émission n'a en fait rien à voir avec la sortie de la Wii U (à l'oral, cela donne "ouiii youuuu").
Nous avons décidé de consacrer cette émission à la presse des jeux vidéo suite à notre article sur le DoritosGate, et à quelques messages mécontents d'@sinautes ("ne pas citer l'aventure Canard PC dans un article sur le conflit d'intérêts dans le milieu du jeu vidéo, c'est montrer son inconnaissance complète du sujet"). Et bing ! Démasqué, je n'y connais rien. Alors allons voir Canard PC. Un magazine payant, en papier, avec peu de publicité (10% des recettes), parlant des jeux vidéo quand les principaux sites web d'actualité sur les jeux sont gratuits et inondés par les publicités des éditeurs de jeux. Un magazine qui est à l'équilibre depuis trois ans, alors que le groupe de presse M.E.R.7 qui édite les principaux magazines du secteur vient d'être mis en liquidation judiciaire.
Canard PC, le monsieur propre de la profession ? Cela n'a pas été facile de les inviter, ils n'avaient pas envie "de se montrer", "on ne va pas sur les plateaux de télévision", m'a-t-on rétorqué. Finalement, Ivan Gaudé, le directeur de la rédaction, est là. À ses côtés, deux représentants de sites web d'actualité sur les jeux vidéo : Gaël Fouquet, rédacteur en chef de Gamekult.com et Usul, chroniqueur sur Jeuxvideo.com et très critique à l'égard des journalistes de jeux vidéo qui appartiendraient à "un milieu consanguin et dégueulasse". Rien que ça ! Les journalistes de jeux vidéo sont-ils tous des vendus aux éditeurs de jeux ? À chaque coup de fil, un nom revient sans cesse : Julien Chieze, le co-fondateur de Gameblog. Ce serait l'exemple type du conflit d'intérêts : journaliste mais pas vraiment (il n'a plus sa carte de presse), travaillant également pour des éditeurs de jeux. Il a même créé une auto-entreprise du nom de Spootnix pour déclarer ses cachets qu'on appelle dans le milieu journalistique "des ménages". Acceptera-t-il de venir sur un plateau avec trois contradicteurs ? Chieze accepte, sans difficulté. Car selon lui, il n'a rien à cacher, il est transparent, "contrairement à d'autres", me glisse-t-il sans donner de noms.
Transparence. C'est la ligne de défense de Julien Chieze sur notre plateau. Il assume ce mélange des genres, ne se revendique pas comme journaliste tout en assurant ne céder à aucune pression des éditeurs de jeux. Un entre-deux qui ne pose pas de problème à Chieze, qui a réponse à tout. Avec des phrases un peu déroutantes : il assure, par exemple, que rédiger des brèves d'actualité, "ce n'est pas un travail journalistique". Mais sur des papiers plus longs, "parfois, il m'arrive de faire un travail journalistique", explique-t-il.
Sur le plateau, le malaise est palpable. Chacun se jauge. Gamekult et Gameblog.fr sont des concurrents. Ivan Gaudé de Canard PC est en retrait, il refuse dans un premier temps d'entrer dans la mêlée avant de se résoudre à attaquer Chieze en assurant que ce mélange des genres est "intenable". Réponse immédiate de Chieze : "Ne me donne pas de crédit, ne lis pas ce que je fais." Et Usul ? Il hésite à prendre de front le co-fondateur de Gameblog.fr. En régie, pourtant, son collègue ne mâche pas ses mots. Pourquoi est-ce problématique d'essayer les jeux chez l'éditeur ou lors d'une invitation à Londres dans un hôtel étoilé ? Julien Chieze ne voit pas le problème. Le collègue d'Usul enrage, selon des sources bien informées en régie : lors d'un voyage de presse en Asie, des éditeurs de jeux n'auraient pas hésité à enrôler des strip-teaseuses. Sur notre plateau, pas de strip-teaseuses (désolé), mais les masques tombent, progressivement. Peut-on écrire des brèves d'actualité sur un éditeur tout en travaillant pour cet éditeur ? Chieze s'explique. Un pigiste peut-il noter un jeu appartenant à un éditeur pour lequel il travaille également comme interprète ? Gamekult est concerné. Peut-on être chroniqueur indépendant tout en travaillant pour un site détenu par une régie publicitaire ? Usul est dans ce cas-là. Pourquoi les notations de jeu ont-elles pris une telle importance aux États-Unis et pourquoi tous les journalistes cèdent-ils à contrecoeur à la demande des joueurs en attribuant ces fameuses notes ? Tous nos invités s'expliquent.
Un débat de fond sur un univers ludique, avec toujours en arrière-plan la question des conflits d'intérêts potentiels. Et au milieu de ce débat, Ivan Gaudé, de Canard PC, droit sur ses pattes : "La question de la structure des entreprises de presse, de leur actionnariat, est fondamentale dans la confiance que peut avoir le lecteur."Ivan Gaudé fait le pari de l'indépendance à l'égard des annonceurs. Un "pari risqué", de son propre aveu, car sans filet de secours.
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