Tribune de Dhorasoo dans Libé du jour.
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Foot, le Qatar doit faire son «coming out»
Depuis quelques mois, un mot en deux syllabes semble susciter les pires craintes chez les commentateurs du football
français : Can-to ? Non. Pé-no ? Non plus. E-P-O ? Perdu, trois syllabes. Qa-tar ? Gagné.
Les analyses de personnalités aussi sérieuses que diverses (Michel Platini et Olivier Ferrand n’ont que peu de points communs évidents) sont limpides et formelles: le rachat du PSG par Qatar Sports Investments est dangereux et malsain. Il alimente une bulle spéculative, ne sert pas le football, déséquilibre la compétition, dénature l’identité du club.
Dans le même temps, l’achat de droits de diffusion TV par la chaîne qatarie Al-Jezira Sports (titre de travail provisoire) est une menace pour l’accès démocratique aux images de foot.
Comme le disait Julio Iglesias, «le monde est fou».
On va pas se mentir : le foot c’est tenter, tenter c’est échouer et pour échouer au plus haut niveau on a besoin de blé. On peut aussi voir les choses autrement. Le football professionnel est un spectacle populaire et fédérateur, un objet de discussion et de réflexion sans limites, et, à ces titres, un lien social unique en son genre. Il n’est donc pas incongru de penser qu’un tel «domaine d’intérêt général» puisse faire l’objet de mécénat, au même titre, par exemple, que l’opéra, lesmusées, la recherche médicale, la lutte contre l’exclusion, la restauration des monastères ou la défense de la diversité de la flore. Le football bénéficie de l’aide de généreux mécènes qui, pour ne pas perdre la face lorsqu’ils dînent avec leurs potes un peu riches, appellent cela des investissements risqués.
Robert Louis-Dreyfus, Loulou Nicollin, Lagardère, Abramovitch ou Qatar Sports Investments, autant de mécènes honteux qui auraient tant gagné à faire leur coming out ! Les gars, vous avez votre place aux côtés des
Rothschild,Gates et autres Warren Buffett… Il n’y a pas de honte à être généreux.
Ça pourrait décomplexer tout le monde, niveau storytelling. Plus besoin de cours de théâtre du soir pour nous annoncer l’air grave que telle erreur d’arbitrage vous coûte une blinde. Plus de sourcils froncés de faux-culs pour gronder des soi-disant salariés qui n’ont pas assez mouillé le maillot par rapport à leur fiche de paie…Non, soyez vous-mêmes, détendez-vous : vous redistribuez une infime part de vos revenus astronomiques et incontrôlables
pour financer de la recherche fondamentale, des collectifs de créateurs qui tentent souvent, échouent presque toujours, pour l’improbable bonheur de millions de spectateurs qui prennent plaisir à observer et commenter ces essais contrariés. Un endroit où l’échec est non seulement sans gravité, mais même souvent source de plaisir.
Parfois, vous décidez de financer plus lourdement un «chercheur» apparemment plus visionnaire, ou juste plus charismatique. Le mécène a droit à ce plaisir-là, le fait du prince, un truc subjectif, comme une sorte de droit à la
connerie. Jeff Koons, le journal le Monde, Ronaldo, etc.. Non vraiment, comme disait le visionnaire Valéry Zeitoun, on va pas se mentir: le foot c’est tenter, tenter c’est échouer et, pour échouer au plus haut niveau, on a besoin de blé. Et c’est là que vous intervenez, amis mécènes. Bien sûr, il faut encadrer tout ça, mais ça devient plus simple de légiférer une fois qu’on est au clair sur les fonctions de chacun.
Alors, pour revenir au Qatar, il est où le problème ? Investissement irrationnel ? On vient de répondre. Provenance des fonds pas claire ? Un gisement de gaz, c’est quand même assez clean comparé à bien des fortunes. Un problème avec les supporteurs ? Demandez aux 42000 personnes qui se déplacent dans un quartier sinistre tous les quinze jours. Un championnat déséquilibré ? On aime bien rigoler,mais il y a des limites. Des diffusions TV payantes ? Et Canal, c’est gratuit ? Un pays qui exploite des travailleurs indiens miséreux ? Oui, comme 90% des multinationales.
Une perte d’identité ? Laquelle? Nationale? Ah bon, vous pouvez développer ?