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Canal Plus et beIN Sports: après la guerre, la love story
La chaîne cryptée vient de lancer une promotion commerciale pour aider la chaîne sportive à recruter des abonnés. Et les deux anciens rivaux ne s'agressent plus dans les appels d'offres...
Après plusieurs années de guerre et de procès, c'est désormais la paix entre Canal Plus et beIN Sports. Les éléments en ce sens se multiplient.
D'abord, le 18 novembre, les deux groupes ont discrètement lancé pour la première fois une promotion commune. Tout nouvel abonné à la chaîne cryptée se voit offrir trois mois d'abonnement à la chaîne qatarie, puis ensuite un tarif préférentiel. Mieux: les abonnés ainsi recrutés restent abonnés d'office à la chaîne sportive, et devront faire une démarche explicite pour la quitter. Bref, Canal aide ainsi grandement son ancien rival à engranger des clients, et lui aurait même garanti un nombre minimal de recrues.
Pas de concurrence dans les appels d'offres
Surtout, les deux groupes ne s'agressent plus lors des appels d'offres pour les droits sportifs. C'est ce qui s'était passé l'an dernier sur la Ligue 1 de Football, où leurs offres avaient été curieusement complémentaires. Selon certaines sources, Vincent Bolloré et Nicolas Sarkozy (qui aurait servi de messager du Qatar) se seraient mêmes vus juste avant le dépôt des offres pour discuter du sujet.
Puis, en janvier 2015, lors de l'appel d'offres pour le Top 14 de Rugby, beIN Sports avait proposé moins que le prix minimal demandé (prix de réserve), et a donc été logiquement battu par Canal Plus.
"Pas une catastrophe pour Canal"
Enfin, et non des moindres, lors de la compétition pour la Premier League, beIN Sports aurait proposé moins d'argent que Canal Plus, selon le Monde. D'autres, comme L'Équipe, laissent même entendre que la chaîne qatarie n'aurait pas déposé d'offre du tout.
Ce qui explique la surprise finale: Canal Plus, pensant ne pas avoir de concurrent, a donc proposé un prix très proche de la somme dépensée jusqu'à présent (63 millions d'euros). La somme exacte n'est pas connue, mais Ozap évoque 61 millions d'euros, tandis que L'Équipe parle de 68 millions. Une stratégie d'autant plus surprenante que le championnat anglais avait clairement dit vouloir plus d'argent, et est parvenu à faire exploser l'addition partout ailleurs.
Quoi qu'il en soit, la filiale de Vivendi s'est donc retrouvée très loin de l'enchère déposée par Altice (actionnaire de ce site web). L'Équipe la chiffre à plus de 100 millions d'euros, tandis que le directeur général de Canal Plus Maxime Saada parle de 120 millions d'euros.
Jeudi, intervenant lors d'un colloque organisé par Les Echos, le patron de la chaîne cryptée a fait contre mauvaise fortune bon coeur: "C'est une péripétie, pas une catastrophe. Le prix payé par Altice n'est pas compatible avec l'économie du groupe Canal Plus". Il rappelait que la chaîne avait très bien survécu quand la Premier League s'était retrouvée sur le concurrent TPS entre 2004 et 2007.
"La Premier League, je m'en occupe, c'est réglé"
Un changement de ton radical par rapport aux propos tenus précédemment. "Notre feuille de route est de booster notre offre sport", assurait quelques jours plus tôt le nouveau directeur des sports, Thierry Cheleman. "Il est indispensable que nous réinvestissions dans le sport", assurait même Vincent Bolloré le 12 novembre lors de son show interne à l'Olympia. "La Premier League, je m'en occupe, c'est réglé", aurait même déclaré en interne le président du conseil de surveillance de Vivendi et Canal Plus.
L'industriel breton espérait peut-être trouver un terrain d'entente avec le Qatar. "Vincent Bolloré connaît l'émir et y a un accès direct, il n'a même pas besoin de passer par un intermédiaire comme Nicolas Sarkozy", assure un de ses interlocuteurs. Il faut dire que le groupe Bolloré et l'émirat font de plus en plus d'affaires ensemble. La filiale logistique a ouvert une plate-forme au Qatar. Tandis que des véhicules électriques co-financés par Qatar Holding sont fournis aux jeux panafricains de Brazzaville.
Le flirt ira-t-il jusqu'au mariage?
Reste à savoir si cette love story ira plus loin. En interne, certains évoquent un retour du Qatar au capital de Vivendi, dont l'émirat est pourtant sorti en 2014.
Surtout, les analystes financiers d'Oddo et de Natixis tablent tous deux sur un rachat de beIN Sports par Vivendi ou sa filiale Canal Plus. "Cette acquisition est stratégique pour Canal Plus, cela devient une des principales solutions à la perte de la Premier League", assure Natixis.
Obstacles à un rachat
Néanmoins, un tel rachat se heurte à de nombreux obstacles. D'abord, beIN Sports perd beaucoup d'argent: 250 à 350 millions d'euros par an, selon Natixis. C'est l'épaisseur du trait pour l'émirat, même si le nouvel émir dit vouloir se recentrer sur des investissements rentables. Mais cela reste une somme considérable pour le groupe Canal Plus - en gros, la moitié de son bénéfice opérationnel.
Ensuite, si beIN Sports a démarré en France, la chaîne s'est ensuite développée dans le monde entier, et revendique désormais plus de 40 millions d'abonnés dans 33 pays. Dès lors, vendre la France seule (2,5 millions d'abonnés) aurait peu de sens - et serait un aveu d'échec. "Le management de beIN Sports a indiqué à plusieurs reprises vouloir investir sur le long terme et développer un groupe mondial, notamment dans la perspective de la Coupe du monde au Qatar en 2022", rappelle Natixis.
La nature a horreur du vide
En outre, éliminer un concurrent en le rachetant n'empêche pas la naissance d'un nouveau concurrent, voire même le favorise, la nature ayant horreur du vide. Déjà, après le rachat de TPS par Canal Plus, Orange était venu prendre sa place...
Enfin, et non des moindres, un tel rachat poserait de gros problèmes en droit de la concurrence. En effet, Canal Plus, qui est déjà en position dominante sur le marché de la télévision payante, renforcerait ainsi cette position. Dès lors, le gendarme de la concurrence pourrait refuser un tel rachat, ou alors l'assortir de très lourdes obligations. Or justement, la chaîne cryptée espère plutôt l'inverse: se dégager des lourdes obligations imposées par l'Autorité de la concurrence en 2012 et qui expirent en 2017, mais peuvent éventuellement être prolongées jusqu'en 2022.
Interrogés, Canal Plus n'a pas souhaité faire de commentaires, tandis que les porte-paroles du groupe Bolloré, d'Altice et de Nicolas Sarkozy n'ont pas répondu.
A Lire : Enquête: paix armée entre Canal+ et BeIN Sports
Expérience limitée
Début septembre, Vincent Bolloré a nommé à la surprise générale Thierry Cheleman (62 ans) à la direction des sports de Canal Plus, prenant la place de Thierry Thuiller nommé à peine trois mois plus tôt. Une nomination qui s'explique par le fait que Thierry Cheleman a travaillé 10 ans pour Vincent Bolloré, d'abord chez Havas, puis comme directeur des sports de Direct 8 (devenue D8). Celle-ci diffusait néanmoins des compétitions mineures, et donc l'expérience de Thierry Cheleman dans les droits sportifs est limitée. Précisément, la chaîne a diffusé du catch, du beach soccer, du volley ball, du golf, de la boxe, du tennis, de la course automobile, du rugby, de l'athlétisme, et un peu de football (football féminin, France Espoirs, coupe d'Afrique des nations, qualifications de la Ligue des champions et de l'Euro 2008).
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Foot: la Premier League sera-t-elle réservée aux abonnés SFR?
Altice, le propriétaire de SFR, dévoilera début 2016 les modalités de diffusion du championnat anglais, qu'il aurait tout à fait le droit de réserver aux seuls abonnés de SFR.
Depuis quelques mois, la convergence semble à nouveau à la mode. Notamment depuis qu'Altice (propriétaire de SFR et Numéricable) a racheté 49% du groupe NextRadioTV (qui détient BFMTV et ce site web), puis les droits de la Premier League de football.
Pourtant, détenir à la fois un opérateur de télécoms et une chaîne de télévision n'est pas du tout une idée neuve. Depuis 20 ans, c'est le cas du groupe Bouygues, principal actionnaire de TF1 et Bouygues Telecom. Durant 28 ans, Vivendi a aussi été actionnaire à la fois de Canal Plus et SFR. Quant à Orange, il possède ses propres chaînes de télévision depuis 2008.
Toujours le même dilemme
Reste que la convergence pose depuis toujours le même dilemme: faut-il réserver ses contenus uniquement à ses propres tuyaux, afin de doper ses ventes de tuyaux? Ou, à l'inverse, faut-il distribuer ses contenus le plus largement possible sur tous les tuyaux, afin de doper l'audience de ces contenus?
Bouygues comme Vivendi ont fait le même choix: diffuser leurs contenus au plus grand nombre de spectateurs possible. Dans ces deux groupes, la collaboration entre la chaîne de télévision et l'opérateur de télécoms a donc toujours été marginale. Autrement dit, avoir le même propriétaire n'a finalement rien apporté du tout...
Gigantesque fiasco commercial
Inversement, Orange a tenté de réserver ses chaînes à ses propres abonnés internet, les utilisant comme produit d'appel pour ses recrutements. Las! L'opération fut un gigantesque fiasco commercial. À fin 2011, ces chaînes avaient engrangé péniblement 771.000 abonnés, et cumulé 700 millions d'euros de pertes nettes, soit un coût de recrutement record... À son arrivée à la tête de l'opérateur téléphonique, Stéphane Richard mettra le holà à cette hémorragie, fermant en 2012 la chaîne de football diffusant la Ligue 1, et propsant la chaîne de cinéma sur tous les tuyaux, ce qui fera décoller son nombre d'abonnés (2,4 millions aujourd'hui).
Reste donc à savoir quelle stratégie choisira Altice. Concernant BFMTV, il est évidemment exclu de réserver la chaîne aux seuls abonnés de SFR. En revanche, la question se pose pour la Premier League. Interrogé, le porte-parole d'Altice répond que la stratégie sera dévoilée "début 2016", indiquant seulement: "Nous entendons jouer pleinement la convergence entre nos actifs télécoms et média, et nos différents clients ou téléspectateurs".
La jurisprudence Orange
En tous cas, une chose semble certaine. Altice aurait le droit de réserver aux seuls abonnés de SFR les matches de la Premier League. En effet, cette question avait déjà été débattue lorsque Orange a réservé sa chaîne sportive à ses propres clients internet.
Un concurrent, Free, avait alors tenté d'arguer que cela violait le code de la consommation, qui interdit de "subordonner la vente d'un produit à l'achat d'un autre produit". Dans un premier temps, cet argument avait convaincu le tribunal de commerce de Paris, qui avait interdit à l'ex-France Télécom de réserver sa chaîne sportive à ses seuls clients internet. Orange avait alors suspendu la commercialisation de cette chaîne durant un mois et demi. Mais la cour d'appel, puis la cour de cassation, ont ensuite donné raison à Orange. La justice a notamment relevé que tous les fournisseurs d'accès se différenciaient en offrant à leurs abonnés des services qui n'étaient pas disponibles ailleurs. À noter que Bercy était intervenu dans la procédure pour confirmer qu'une telle pratique était tout à fait licite...
Plainte classée sans suite
Parallèlement, Canal Plus, SFR puis Bouygues avaient aussi porté plainte pour "vente liée" devant l'Autorité de la concurrence, mais celle-ci a classé la plainte sans suite en 2012. En la matière, la doctrine du gendarme de la concurrence se limite donc à un avis purement consultatif rendu en 2009. Selon cet avis, réserver une chaîne à ses seuls abonnés est "contestable", et devrait être limité dans le temps à "un ou deux ans".
Jean-Paul Tran Thiet, avocat associé chez White & Case, conclut: "Si Altice réservait les matches aux abonnés SFR, je ne vois pas où serait le problème. Du point de vue du droit de la consommation, la cour de cassation a confirmé lors de l'affaire Orange qu’une offre de ce type était parfaitement licite, au regard de la réglementation européenne. Du point de vue du droit de l'audiovisuel, les matches de la Premier League ne relèvent pas des événements sportifs d’importance majeure qui doivent nécessairement être diffusés sur une chaîne gratuite. Enfin, du point de vue du droit de la concurrence, l'Autorité peut intervenir seulement s'il y a entente restrictive de concurrence, ou abus de position dominante. Or ni Altice, ni SFR ne peuvent être considérés comme en position dominante sur le marché des services télécoms, ni sur le marché de la télévision payante, a fortiori sur le marché des retransmissions d’événements sportifs."
Interrogé, Orange n'a pas répondu.
bfmtv