Citation
Bolloré lorgne BeIn pour sauver Canal+
Par Jérôme Lefilliâtre — 27 janvier 2016 à 20:21
Vincent Bolloré veut racheter BeIn Sports pour sauver Canal+
Il y a quelques mois, la seule évocation de cette hypothèse aurait fait hurler de rire. Mais la piste d’un rachat de BeIn Sports France par Vivendi, la maison mère de Canal +, est de plus en plus sérieuse. Même François Hollande y croit ! Le président de la République a évoqué cette possibilité la semaine dernière, lors d’un déjeuner avec des journalistes raconté dans le Parisien. «Les discussions, entamées en décembre, ont repris mi-janvier», indique à Libération une source au fait du dossier. Elles avaient été rapidement stoppées après leur ouverture, les deux parties ayant d’abord fait le constat de leurs désaccords. L’attrait d’un tel rapprochement a pourtant convaincu les uns et les autres de se retrouver autour d’une table. Le groupe présidé par Vincent Bolloré pousse le plus fort. «On aimerait bien que ça aboutisse», reconnaît-on à Vivendi, qui a autant à y gagner que le Qatar, propriétaire de BeIn Sports.
C’est ce qu’explique une note d’Exane BNP Paribas, publiée le 22 janvier. «Il y a deux raisons de croire que le Qatar pourrait accueillir favorablement une proposition de Vivendi, écrit le fonds d’investissement. La cession de son actif télévisuel français, non rentable, lui permettrait d’atténuer son stress financier croissant. L’utilité marginale de cette télévision diminue. En face, un tel accord permettrait à Canal + d’inverser sa dynamique commerciale négative et de reconstituer son portefeuille de plus en plus mince de droits sportifs.» L’observation suit deux analyses similaires, faites avant Noël par la banque Natixis et la société de gestion Raymond James. Au taquet, le milieu des affaires a déjà dit oui à l’opération et les marchés attendent la prochaine prise de parole publique du patron de Vivendi, le 18 février, lors de la présentation des résultats annuels.
Foot français et NBA
Pas sûr, cependant, que les négociations soient finalisées à cette date. Selon nos informations, deux schémas d’alliance sont envisagés à ce stade. Le premier, de nature commerciale, ferait de Vivendi le distributeur exclusif de BeIn Sports. Autrement dit, ceux qui voudraient à l’avenir avoir accès aux chaînes qataries devraient nécessairement s’abonner aux offres de Canal + ou CanalSat. Comme c’est le cas actuellement pour Eurosport. Cette exclusivité a un coût : Canal + paye 50 millions d’euros par an à Discovery, l’américain qui possède Eurosport. Bien mieux doté en droits, BeIn Sports, qui diffuse notamment le foot français et la NBA, n’offrira sûrement pas la possibilité de diffuser ces événements sportifs à moins de 100 millions d’euros. Ce scénario s’appuie sur une expérience promotionnelle en cours qui a valeur de test : actuellement, tout nouvel abonné à Canal + ou CanalSat a le droit à BeIn Sports gratuitement pendant trois mois. Cocasse, lorsqu’on se rappelle les noms d’oiseaux qu’ont échangés les deux médias après le lancement de BeIn en France. Mais ça, c’était en 2012, avant que Canal + ne tombe sous la coupe de Bolloré.
L’autre schéma, plus ambitieux, plus onéreux et bien plus complexe à monter, a les faveurs du boss de Vivendi. C’est le genre de montage dont raffole le loup Bolloré, qui s’est amusé toute sa vie à prendre des positions capitalistiques ici ou là pour les revendre ensuite. Il s’agirait d’une acquisition pure et simple de la partie française de BeIn Sports. Sa valeur est estimée à 500 millions d’euros par Natixis. Payée en actions plutôt qu’en cash, la somme permettrait aux Qataris de prendre en échange 8 % de Canal +. Ou même de demander une participation à l’étage au-dessus, dans Vivendi. Ils connaissent bien la maison. Qatar Holding, le fonds souverain de Doha, a détenu jusqu’à 2 % du capital du groupe français, mais il a revendu ses parts fin 2014. A la suite de l’opération, phosphore Natixis, «Vivendi pourrait proposer une alliance à l’international» à son nouveau partenaire. Avec sa chaîne d’information mondiale Al-Jezira et BeIn Media Group qui est présent dans une trentaine de pays, le Qatar a une résonance planétaire. De quoi allécher Bolloré, qui trouve son Vivendi encore bien trop franco-français.
«C’est dérisoire»
Pourquoi l’homme d’affaires breton lâcherait-il 500 millions d’euros ? D’abord parce qu’il a l’argent : fin septembre, Vivendi avait 8 milliards de trésorerie en réserve. Lors d’un one man show à l’Olympia, devant les salariés de Canal + il y a un mois et demi, Bolloré a même promis d’investir 2 milliards pour relancer la chaîne cryptée. Il y a urgence. La maison Canal est sur une mauvaise pente. En un an, le groupe de télé à péage a perdu 88 000 abonnés en France. Inquiétant : son marché domestique représente plus de 60 % du chiffre d’affaires de Canal. Dans un contexte d’augmentation des droits sportifs et des coûts de production des fictions télévisées, la profitabilité de la boîte s’érode d’autant plus vite. Alors difficile d’avoir des grands rêves de conquête extérieure quand on se fait enfoncer de tous les côtés chez soi. «Quand on ajoute à ça la concurrence de Netflix et l’envie des opérateurs télécoms de selancer dans les contenus, eux qui ont des bases d’abonnés gigantesques pour amortir leurs investissements, on se dit que continuer la bagarre avec BeIn Sports, c’est dérisoire», argumente un proche de la direction de Canal. Et de citer l’exemple d’Altice, le groupe de télécoms de Patrick Drahi (propriétaire de Libération), qui vient de chiper à Canal + les droits du foot anglais, à partir de la saison prochaine. Cela ne devrait pas aider à enrayer la fuite des abonnés (qui sont encore 5,9 millions en France). «La chaîne tient sa place sur le cinéma et la fiction, mais elle doit récupérer une offre sportive plus étendue», résume un autre. D’où l’idée de s’associer avec BeIn Sports.
2,5 millions d’abonnés
Encore faut-il que les Qataris soient vendeurs. «Jamais», jurait un de leurs représentants au temps de premières rumeurs. Mais Doha vient de vivre un «annus horribilis», selon la formule d’Exane BNP Paribas. La valeur cumulée des principales participations prises par ses fonds d’investissement a fondu de 13 milliards d’euros depuis juin, dont 7 milliards sur Volkswagen. Surtout, la chute du prix des hydrocarbures oblige le Qatar, comme l’Arabie Saoudite, à resserrer ses budgets. «Le gouvernement est en train de tout rationaliser, il y a des coupes de 30 % à 50 % partout», relève un intermédiaire français bien implanté au Qatar. L’austérité n’épargne pas les activités médias. Al-Jezira vient d’annoncer la fermeture de sa chaîne d’info aux Etats-Unis, lancée en grande pompe en 2013, car son modèle n’était «pas soutenable», dixit son patron. Le Qatar n’a pas toujours été aussi regardant sur la rationalité économique de ses investissements…
Or, BeIn Sports France, avec 2,5 millions d’abonnés, est un puits sans fond : la chaîne perdrait de 250 millions à 300 millions d’euros par an selon Natixis ! La faute à un prix d’attaque (13 euros par mois) pour une grille de programmes riche et donc chère. «Ils ont toutes les raisons de se rapprocher de nous», veut croire un négociateur de Vivendi, qui se montre cependant très prudent sur l’issue des discussions : «On n’est pas les seuls sur le coup.»
A l’écouter, BeIn Sports aurait sondé Orange et Free à propos d’un accord de distribution exclusive.
Par ailleurs, une alliance avec Vivendi n’est pas assurée de recevoir l’aval de l’Autorité de la concurrence, encore échaudée par la fusion en 2007 de TPS et CanalSat. «Les questions d’ego entrent en jeu», remarque enfin notre négociateur. Sous-entendu : les Qataris, pas toujours bons perdants, verraient une cession comme un aveu d’échec. L’émir cheikh Tamim, seul vrai décisionnaire, se laissera-t-il convaincre par Bolloré ? Pour rapprocher les points de vue, les deux hommes peuvent compter sur un ami commun : Nicolas Sarkozy. D’après nos informations, l’ex-chef de l’Etat, jamais bien loin lorsqu’il est question de foot et de télé, suit de très près le dossier
libé