Dopage : condamné à un an de prison, le docteur Fuentes échappe à la détentionLe tribunal pénal de Madrid a condamné, mardi, Eufemiano Fuentes à une peine d'un an de prison et quatre ans d'interdiction d'exercice de la médecine. Le Canarien était poursuivi pour un "délit contre la santé publique" en raison de son implication dans un vaste réseau de dopage sanguin démantelé en 2006 lors de l'opération dite Puerto.
La juge Julia Patricia Santamaria n'a donc pas suivi le réquisitoire de la procureur Rosa Calvo qui avait demandé une peine "exemplaire" pour "laver l'image du sport espagnol". Ce jugement signifie que le docteur Fuentes ne séjournera pas en prison car, en Espagne, les peines en dessous de deux ans ne donnent pas lieu à des détentions.
Parmi les autres inculpés du procès Puerto, seul le préparateur physique Ignacio Labarta a été condamné, pour complicité, à une peine de prison, de quatre mois. Manolo Saiz, l'ex mentor du cyclisme espagnol et de la formation Once, l'ancien directeur sportif de la formation Kelme Vicente Belda et la soeur de Fuentes, Yolanda, également médecin, ont tous été acquittés.
"IMMENSE NUAGE"Cette décision intervient sept ans après l'opération dite Puerto et le démantèlement par la guardia civil d'un vaste réseau de dopage sanguin organisé depuis Madrid par Eufemiano Fuentes. Elle était très attendue par l'Agence mondiale antidopage (AMA) et le Comité international olympique (CIO). Pendant le procès, qui aura duré plus de deux mois, le président du CIO, Jacques Rogge, avait ainsi mis en garde Madrid en dénonçant le "bilan très frustrant" de l'opération Puerto. Une relaxe, comme le réclamait l'avocat de Fuentes, aurait porté un coup fatal à la candidature de Madrid à l'organisation des Jeux de 2020. Pas sûr que la faiblesse de la sanction satisfasse non plus le mouvement olympique.
"Un immense nuage continuera de flotter au-dessus de la tête de centaines de sportifs espagnols tant qu'on n'ira pas au bout de l'affaire Puerto", avait quand à lui estimé le patron de l'AMA, John Fahey, au début d'un procès qui n'aurait sans doute jamais eu lieu (l'affaire avait était classée deux fois sans suite au cour de l'instruction) sans la pression de l'AMA et des médias internationaux.
Un "immense nuage" qui ne risque pas de se dissiper puisque la juge a refusé d'accéder à la demande de l'AMA de lui remettre les 200 poches de sang et plasma saisies en 2006 par la guardia civil et jalousement conservées depuis au laboratoire de Barcelone. Leur analyse aurait permis d'identifier quelques clients supplémentaires du docteur Fuentes. On pense par exemple à Marta Dominguez, championne du monde du 3 000 m steeple en 2009. Le nom de la "grande dame" de l'athlétisme ibérique n'a pas été cité une seule fois dans l'enceinte du tribunal pénal de Madrid. Mais sa collaboration avec Fuentes ne fait pourtant guère plus de mystère que son appartenance au Parti populaire du premier ministre, Mariano Rajoy.
"TOUS TYPES DE SPORTIFS"Au deuxième jour des audiences, le 30 janvier, le médecin canarien avait pourtant proposé à la juge, si elle lui demandait, de révéler l'identité de tous les propriétaires des fameuses poches de sang. "Tous les noms auxquels correspondent les codes sont consignés sur un carnet", avait indiqué Fuentes à la barre. Mais jusqu'au dernier jour du procès, le 2 avril, Julia Patricia Santamaria s'est bien gardée de lui poser cette question embarrasante pour le sport espagnol, se contentant de s'intéresser aux seuls clients cyclistes - et déjà connus - du bon docteur.
On a cru un moment, pourtant, que "l'immense nuage" allait se transformer en tempête quand au bout d'une semaine d'audience, en marge du procès, un ancien président de la Real Sociedad, dans les colonnes du quotidien sportif AS, accusa son prédécesseur d'avoir payé Fuentes grâce à une caisse noire pour qu'il fournisse le club de football basque en produits dopants entre 2001 et 2005. Mais fidèle à son principe, la juge Santamaria a évité de demander au médecin si l'annotation "RSOC" retrouvée dans ses documents pouvait par hasard correspondre à "Real Sociedad".
Elle n'avait déjà pas saisi la perche que lui avait tendu Fuentes dès la première minute de sa comparution devant le tribunal de Madrid :"Avant 2006, je travaillais avec tous types de sportifs. Cela pouvait être des footballeurs, des athlètes, des joueurs de tennis, des boxeurs...". En une phrase, le médecin de 57 ans avait confirmé sous serment ce qu'il avait déclaré au Monde dès décembre 2006. A savoir que sa clientèle ne se limitait pas au monde du cyclisme.
"Evidemment, j'ai eu d'autres sportifs comme clients : athlètes, joueurs de tennis, footballeurs, joueurs de handball, boxeurs..., avait expliqué le docteur Fuentes en 2006. J'ai travaillé avec plusieurs clubs de première et deuxième division espagnole. J'ai travaillé avec plusieurs clubs en même temps, parfois directement avec les footballeurs eux-mêmes, parfois en partageant mes connaissances avec les médecins des équipes." Six mois après l'opération Puerto, Le Monde avait eu accès à des documents liant le médecin au FC Barcelone et au Real Madrid. Ces documents étaient consignés dans un appartement utilisé par Fuentes à Las Palmas, aux Canaries. Un appartement que la Guardia Civil n'a jamais perquisitionné.
"Le Real Madrid a une dette en vers moi", avait lancé à la cantonade Eufemiano Fuentes, à la sortie d'une des nombreuses audiences de son procès. Quand Le Monde avait demandé en 2006 à Fuentes s'il avait travaillé avec le Real Madrid et le Barça, Fuentes avait eu cette réponse : "Je ne peux pas répondre. On m'a menacé de mort trois fois et on ne va pas menacer une quatrième fois."
Contacté mardi par Le Monde, José Miguel Lledo, l'un des avocats de Fuentes, a indiqué que son client, "dans une situation économique précaire", était prêt à dire en plus et qu'il avait déjà reçu plusieurs offres financières de médias internationaux et d'éditeurs.
Stéphane MandardLe Monde.fr