Ligue des champions : ce soir, boycottons le PSG !
François Manardo a été le chef de presse de la Fédération française de football et de l’équipe de France entre 2007 et 2013. Dans une tribune au Monde, il dénonce le boycottage de Canal+ par le PSG et l’OM.New York, février 2014. J’assiste au Superbowl, la finale du championnat de football américain. En termes d’organisation, cet événement n’a d’égal que la finale de la Coupe du monde de football. En tant qu’observateur, je me suis hasardé à la fin du match à une question à la media manager de la NFL, la Ligue nord-américaine de football. Après plus de dix-sept ans dans le foot pro en tant que journaliste (un peu) et attaché de presse (beaucoup), cette interrogation tombait sous le sens : « Que prévoyez-vous si un joueur refuse de s’exprimer devant les médias ? » La jeune femme m’a fait répéter la question, comme si elle ne la comprenait pas. Puis elle m’a lâché : « Ça ne pourrait pas se produire avec nous. (

) Ici, tout le monde fait le job. Joueurs, dirigeants et médias. Les télés payent beaucoup d’argent pour les droits de diffusion. Si un joueur refuse de s’exprimer à la presse, ce serait directement au président [commissionner] de la NFL de déterminer la sanction. »
Un peu comme si Michel Platini, lui-même, le président de l’Union des associations européennes de football (UEFA), fixait la nature de la sanction dont devrait s’acquitter le Paris-Saint-Germain s’il s’obstinait, mercredi soir face au Barça, à ne pas répondre aux micros de Canal+, le diffuseur de la rencontre des quarts de finale de la Ligue des champions.
Une situation surréalisteOn croirait rêver (« plus grand », comme le clame le slogan du PSG) en écrivant ces lignes. Car la situation provoquée par la décision conjointe du PSG et de l’OM de boycotter la chaîne cryptée, premier diffuseur de la Ligue 1, est surréaliste. Comment un club, plutôt que de rappeler ses joueurs à leur devoir, à commencer par le respect dû au corps arbitral, peut-il désigner un diffuseur comme responsable d’une situation disciplinaire ? En vertu de quel amalgame l’abonné de Canal+, passionné de foot et supporteur de Paris ou de Marseille de surcroît, doit-il être lésé jusqu’à la fin de la saison ? Il pourra zapper ou éteindre sa télé à la toute fin du match, puisqu’il n’entendra aucune déclaration des joueurs des deux formations. Oui, c’est surréaliste. Et cela se passe dans le championnat de France.
Durant mes sept années à la Fédaration française de football (FFF), j’en ai entendu des menaces restées (heureusement) lettre morte. Un jour, il fut question de priver de travail une rédaction tout entière pour « les faire payer » de l’« espionnage » dont les Bleus faisaient l’objet lors des entraînements à huis-clos. Une autre fois, après la victoire de l’équipe de France à Dublin (1-0) en barrage aller des qualifications pour la Coupe du monde 2010, les joueurs avaient menacé en interne de boycotter toute la presse française à l’issue du match retour, à Saint-Denis. La qualification obtenue (1-1), ils s’étaient ravisés car la joie l’avait emporté sur la bêtise.
Il n’y eut donc pas de passage à l’acte. Et ça change tout au regard de l’actuelle situation. Car au-delà de l’aspect économique se pose aussi la question d’une jurisprudence « PSG-OM contre Canal ». Si les deux clubs tiennent tête comme ils l'ont promis jusqu’au 30 mai, jour de la finale de la Coupe de France entre le PSG et Auxerre, quels seront les effets sur les autres clubs de Ligue 1 et Ligue 2 ? Voire d’autres sports ? « Ah ! Votre article ne nous a pas plus, monsieur ! Plus personne ne répondra à votre rédaction jusqu’à Pâques, monsieur ! » Et qui portera votre message aux passionnés ? « Nos médias, monsieur ! Là, au moins, on contrôle… »
Entre-temps, point de code de comportement des joueurs en vue. Oh, en interne, ça roule à peu près. C’est-à-dire ? Un retard à l’entraînement et le joueur passe à la caisse. En revanche, insulter un arbitre, face caméra ou pas ? Circulez, y a rien à voir. En sanctionnant Zlatan Ibrahimovic de quatre matchs de suspension pour ses propos contre les arbitres du match à Bordeaux, la commission de discipline a, elle, simplement fait son boulot : appliquer le barème. Pourtant, les mots d’injustice, voire de cabale, ressurgissent. Alors privons les amateurs de foot des réactions d’après-matchs, un juste retour de bâton pour ce diffuseur qui filme trop et à notre insu les écarts de conduite de nos joueurs ! Mince, si on ne peut plus insulter un arbitre tranquillement… Et peu importe que Canal soit l’un des deux bailleurs de fonds du foot français : la chaîne va débourser 540 millions d'euros par an à partir de 2016 pour continuer à pouvoir diffuser le championnat avec BeIN Sport. Qu'on se le dise : sans le PSG et l’OM, Canal+ perdrait 50 % de l’attrait de la Ligue 1. Car « le show, c’est nous ! ». Exagéré ? On a malheureusement déjà entendu pareille affirmation par le passé.
L'alliance phocéo-qatarieSans doute est-ce là un des éléments qui a nourri la réflexion (sic) des dirigeants des deux clubs. Deux formations puissantes, en termes médiatiques et économiques. Et, pour l’avoir vécu, j’affirme ici que le football a cette faculté d’hypnose sur ses acteurs. Joueurs, entraîneurs… et dirigeants ! Aussi brillants soient ces derniers. Il gomme les raisonnements à froid, les plus sûrs, et débride les sentiments de paranoïa médiatique. Un défaut qui escorte trop souvent les puissants, lesquels s’affranchissent des règles encombrantes car ils savent qu’ils le sont. Ce qu’a bien compris Frédéric Thiriez, plus avocat de l’alliance phocéo-qatarie que président de la Ligue de football professionnel sur ce coup.
Peut-être se sont-ils rassurés en vérifiant que la liberté de la presse n’était pas entravée. Sauf que cette liberté ne se découpe pas en tranches. Elle doit rester entière ou bien elle n’a plus de sens. Il faut revoir dans notre football la relation aux médias. Etre plus « pro », comme le revendique la Ligue, c’est-à-dire ni ami ni ennemi. Les médias sont un acteur, un rouage indispensable de la mise en scène du « show », justement. Les conflits existeront toujours. Mais il faut savoir lâcher prise et « faire le job », comme on dit. Et ne pas attribuer un rôle ou un poids à la presse qu’elle ne possède pas. Pas jusque-là.
Et de regretter, enfin, que la corporation française n’a pas fait front. En Italie ou en Allemagne, je le pense, les journalistes auraient fait corps. Ils auraient abandonné Parisiens et Marseillais à tenir leur conférence d’après-match face aux seuls micros de leurs médias internes. C’eût été vexant. Cela eût surtout ramené cette décision à sa juste dimension : ridicule. Ça ne tue pas, mais ça peut faire réfléchir. Il est encore temps.
François Manardo