Citation
Javier Prieto Santos
Journaliste à So Foot
S'il y a bien une chose dont on peut se foutre sur Terre, c'est le football
19 juillet 2013, 12:00
La rédaction
So Foot fête ses dix ans avec un numéro spécial de très bonne facture. La bande à Franck Annese ne finit plus de grandir et se trouve toujours quasiment seule au monde dans son créneau. Pour Javier Prieto-Santos, journaliste à So Foot, le succès du magazine vient avant tout du ton employé et des sujets traités. Et il n'hésite pas à dire que So Foot a amené un vent de fraîcheur dans la presse sportive.
Je dirais que So Foot a ringardisé certains magazines, certaines émissions de télé, de radio. Aujourd'hui la radio c'est quoi? Trois mecs qui se foutent sur la gueule, qui gueulent, qui ont des accents du Sud, et à la fin ça n'avance pas. Ça n'a pas changé depuis 40 ans. L'Equipe a fait une nouvelle formule, ok mais ça reste la même chose. On sent qu'ils essayent de se moderniser qu'ils font des trucs qui pourraient ressembler à So Foot, ils prennent des gens de So Foot pour que ça ressemble à So Foot. France Football nous avait pris Marc Beaugé pour moderniser leur version. Bon bah aujourd'hui, France Football a un peu de mal... Mais je pense que oui, effectivement, So Foot a apporté un vent de fraîcheur qui fait du bien. Après, un de ces jours, on se fera aussi doubler par un concurrent qui sera plus fort et plus malin, donc on ne se prend pas pour Dieu. On mange des sandwiches, on bosse dans un garage, on a aucune raison de se prendre pour ce qu'on est pas.
Pendant des années les gens ont vu le foot et ont lu du foot à travers le modèle de l'Equipe. Pour eux le foot c'était quelque chose de très sérieux avec laquelle il ne fallait pas rire. C'est complètement con. S'il y a bien une chose dont on peut se foutre sur Terre, c'est le football. Les mecs lisaient l'Equipe comme s'ils lisaient le Monde Diplomatique ou je ne sais quel magazine très sérieux. Le sport reste du sport, on ne va pas mourir si l'Equipe de France perd un mondial. On s'en fout. Quelque part, oui, on a eu un traitement léger et ciblé sur ce côté socio-culturel. Et je pense que des mecs se sont inspirés de nous, très modestement. Je ne connais pas tout le monde, mais je pense que ça a fait école chez certains. On voit des sites aujourd'hui qui reprennent des rubriques qui pourraient être dans So Foot, qui sont pleines d'humour et qui sont bien vues. Je pense que So Foot a un peu ouvert les yeux à certains qui en avaient marre de lire du foot version l'Equipe.
Les Cahiers du Football, c'est trois types qui font les malins dans leur bureau
Dans notre segment, il n'y a pas de concurrence. Il n'y a que de la merde. Si tu as 25 ans et que tu veux lire du football, tu as deux possibilités: lire So Foot, ou lire Planète foot. Planète foot c'est bien, si t'as pas eu ton Bac, ton BEP, ton Brevet, si tu ne sais pas très bien lire, et si tu aimes les images: c'est parfait. Les posters grandeur nature, c'est très bien pour la déco, après chacun son truc. Mais je ne vais pas vous mentir, je ne lis pas Planète foot, parce que ce qui y est écrit, on peut le retrouver sur Internet. Au final, on est tout seul dans notre rayon. On nous compare souvent aux Cahiers du Football, et ça me casse les pieds... Les Cahiers du Foot, c'est trois types qui font les malins dans leur bureau, qui donnent des leçons de morale, qui s'attaquent à des sujets plutôt faciles. Mais ils ne bougent pas. Ils voulaient être les révolutionnaires de la presse et à la fin, ils font comme les autres. Ils font comme l'AFP ; ils restent dans leur bureau, ils font des éditos, des billets d'humeur... Les mecs ont 80 ans, mais il y a des gens qui aiment, donc moi je respecte, mais je ne pense pas que la comparaison a lieu d'être.
So Foot, du desk au reportage
Aujourd'hui, il reste tout du So Foot d'il y a dix ans. L'esprit n'a pas changé, même si on a déjà dix ans. So Foot est resté le même dans la forme, mais pas dans le fond, parce que si on regarde les premiers So Foot, on trouvait des articles où il n'y avait pas d'intervenants, pas de voyages...Tout était fait à partir du desk. Aujourd'hui, si on décide de s'intéresser à un mec, un sujet ou un reportage, il faut qu'on se déplace, qu'on voit des gens, qu'on claque du fric. A l'époque, on ne pouvait pas claquer de fric: les papiers qu'on faisait étaient un peu superficiels, quoique sauvés par les plumes qui les écrivaient. Parce que même sans intervenant, les mecs réussissaient à intéresser en mettant de l'humour en plus du caractère «différent» de ce qu'ils racontaient. C'est ce qui nous différenciait du reste de la presse sportive, mais le fond a changé, il a fini par s'améliorer. On est devenu plus professionnels dans l'écriture, pas plus chiants.
Le football, juste une excuse
Franck Annese a toujours considéré So Foot comme un magazine de foot, culture et société. Si on regarde bien, il y a beaucoup de sujets où le football est simplement une excuse pour parler des gens, de l'humain, pour rigoler, pour s'ouvrir un peu au monde, à la bêtise ou à l'intelligence humaine. En fait, nous, on ne donne pas de jugement de valeur, ni de morale, on déteste les donneurs de leçons. On essaye d'analyser l'époque à travers quelque chose de très universel et démocratique. Le succès de So Foot ne vient pas du football, on considère le foot comme une excuse. Notre succès vient du ton qu'on adopte. Le ton de So Foot aurait pu être repris pour un So Rugby, un So Tennis...
Socrates, l'archétype du «joueur So Foot»
Les footeux qui nous intéressent, il n'y en a pas cinquante. On ne va pas faire un article sur Charles Kaboré, on s'en fout, même s'il est marrant. Il a rien à dire. Les footeux d'aujourd'hui, c'est des poulets d'élevage, ils sont faits dans le même moule, ils disent tous la même chose, ils portent tous les mêmes fringues, ils partent tous en vacances à Ibiza, ils fument tous la chicha... Après ça, il reste quoi? Il reste les papiers un peu historiques ; la culture foot, c'est ça qui nous intéresse. Nous avons par exemple une rubrique «légende». Ce qui nous intéresse, c'est l'épopée d'une équipe, qu'elle gagne ou pas ; si elle a bouleversé son époque, la manière de voir le foot. Et si elle a bouleversé la manière de jouer au football, c'est qu'elle a été influencée par des facteurs socio-culturels de son époque. Je pense notamment à Socrates, quand il était aux Corinthians. A l'époque, il a développé ce qu'on appelle la démocratie corinthiane, parce que le Brésil était alors dans une situation politique instable, que la population demandait au régime en place de bouger. Et Socrates a pris les devants. C'est ces histoires-là qui nous intéressent. Quand du football reste du football, ça l'est aussi mais pour nous, beaucoup moins.
Tous propos recueillis par Xavier Colas
http://www.newsring.fr/sport/football/4265...est-le-footballMême si dans le fonds ils ont pas tout à fait tort, ils ne se prennent pas pour de la merde