Je ne crois pas l'avoir vue sur le forum, une interview trouvée sur le blog
En pleine lucarne. L'avis d'un des rares journalistes sportifs intéressants de France Télévisions, Arnaud Romera, à propos de l'évolution de Stade 2. L'analyse est très lucide, ça fait du bien de lire ça venant de quelqu'un de l'intérieur.
Citation
Depuis quelques semaines, le service des sports de France Télévisions est en ébullition (source BRL TV). Encore, me direz-vous ? Oui, mais cette fois ce n’est pas pour s’élever contre la présence d’une ex-miss France, Elodie Gossuin (voir article) aux commentaires du Dakar. Non, là, c’est bien plus important puisque les journalistes remettent violemment en cause la ligne éditoriale de Stade 2, l’émission dominicale de France 2, dont les audiences sombrent peu à peu. Tous exigent de la direction des changements rapides. Sinon ?
Arnaud Romera, spécialiste des sports de combats et tout nouveau président de la Société des Journalistes, nous explique, au nom de la Société des Journalistes, les raisons de cette tension et ce qu’il faut faire avant que ça ne dégénère. Interview.
Quel est le problème avec Stade 2 ?
L’audience connaît une baisse inquiétante. La rédaction est en train de s’éteindre. Et l’image de notre service à l’extérieur, que ce soit dans la presse auprès du grand public et surtout dans le monde du sport, est calamiteuse. Jamais notre service n’a autant été décrié. En interne, jamais les journalistes n’ont eu si peu de travail. On ne fait presque plus de reportages ! La proportion d’invités est de 70% contre 30% d’images et reportages, y compris ce qui est news, zapping, etc… Quant à l’audience, excepté le score réalisé après la finale des championnats du monde de hand, on doit être à une moyenne de 11% de part de marché sur les trois derniers mois, avec trois scores sous les 10%. Du jamais vu dans l’histoire de l’émission.
L’ambiance de la rédaction est donc devenue très pesante car comme on ne fait plus de reportages, les journalistes ont moins de travail, voire plus du tout pour certains d’entre eux ! Et je ne parle pas de la mauvaise image que l’on a à l’extérieur et dans le milieu sportif en général.
A ce point ?
Il suffit d’interroger le monde du sport. Fédérations, athlètes ou pratiquants, ils sont de plus en plus nombreux à élever la voix contre la politique éditoriale de notre service. Dernier exemple en date : le Handball. On diffuse la finale des Championnats du Monde et ça se retourne contre nous. Dans toutes les interviews, les « Experts » y sont allés de leur couplet sur l’absence de couverture du hand sur le service public. Avec un tacle en direct dans notre J.T de 20h. C’est bien la preuve qu’il y a chez eux un malaise, une incompréhension, le sentiment légitime d’être mal exposés, mal traités sur les chaînes du service public. Et on peut décliner cette colère à pleins d’autres disciplines qui n’ont plus d’espace sur France Télévisions. Alors notre image en prend un coup et l’audience s’en ressent.
450.000 licenciés de hand-ball, 600.000 licenciés de judo, 700.000 licenciés d’équitation, etc, etc … frustrés de ne pas voir leur discipline à l’écran, c’est autant de téléspectateurs de perdus ! C’est mathématique. N’est ce pas le rôle du Service Public d’accompagner les sports olympiques ? De par sa variété et la qualité de ses reportages, Stade 2 a toujours été l’émission sportive de référence. Ce temps là est révolu …
La direction a-t-elle réalisé des études auprès des téléspectateurs pour savoir ce qu’ils en pensent ?
Je ne sais pas. En tout cas, s’il y en a eu, on n’en a pas eu connaissance. La seule étude qu’on ait c’est l’audimat. Et on voit ce que ça donne. Cela dit, on aimerait vraiment que soit menée une enquête de satisfaction sur le contenu et la présentation de l’émission. Ce serait très instructif …
Que faudrait-il faire pour que Stade 2 reprenne des couleurs ?
Il n’y a pas de recette miracle. Personne ne détient la vérité. Nous ne sommes pas contre toute évolution bien au contraire. On a voulu dépoussiérer l’ancienne formule, très multisport et conviviale … soit. Force est de constater que la formule actuelle ne fonctionne pas. Peut-être devrait on chercher des idées nouvelles. Et consulter la rédaction …
Est-ce que du reportage sur des sports ou des athlètes un peu moins médiatiques que le foot ou le rugby feront de l’audience ?
Il ne faut pas opposer les sports populaires aux autres disciplines. Avec 1h10 d’émission chaque dimanche, il y a de la place pour tout le monde. Tout est une question de dosage, d’équilibre. Un reportage, une enquête comme celle sur les aveux de Floyd Landis ou un portait insolite vu nulle part ailleurs lié à l’actualité ne font pas moins d’audience qu’un factuel de foot ou qu’un invité insipide. Regardez, chaque dimanche on se fait battre en audience par la rediffusion d’un magazine de reportages de M6 : 66 minutes. Et sur TF1, Sept à Huit marche aussi très bien. C’est du reportage lié à l’actualité. On peut faire la même chose dans Stade 2. Je pense que les téléspectateurs privilégieront toujours un bon reportage à un mauvais invité.
Pourquoi vous ne changez pas la formule ? Daniel Bilalian (le patron des sports de France Télévisions) fait la sourde oreille ?
Daniel Bilalian s’occupe très peu de l’éditorial. Lui il gère, et plutôt très bien, tout ce qui touche aux droits télé. Il achète des programmes et fait vivre une bonne partie du service grâce aux évènements exceptionnels. Pour tout ça on lui dit bravo. Mais notre quotidien, c’est les émissions. Et tout ce que est éditorial, c’est Lionel Chamoulaud qui en est responsable. Il est à la fois rédacteur en chef et présentateur de l’émission. C’est lui qui incarne l’image de l’émission. Il est donc responsable de la nouvelle formule, du contenu, du management de la rédaction et des audiences.
Lionel Chamoulaud responsable alors ?
Les journalistes doivent retrouver la parole. Il faut redonner vie à cette rédaction. La conférence doit redevenir un espace d’expression et d’idées. Nous avons aujourd’hui toute une partie de la rédaction qui ne sert à rien, qui ne fait même plus de sujets depuis deux mois. Ils vont faire un commentaire par-ci, par-là et c’est tout ! Le week-end, malgré l’actu sportive, il y en a qui restent devant leur télé, chez eux, parce qu’on ne leur confie rien. Pourtant ce sont des mecs qui aiment leur boulot, qui bossent bien. Maintenant nous avons deux nouveaux responsables éditoriaux qui arrivent de Tout le Sport : Jean-François Laville, rédacteur en chef de Tout le Sport et Paul Péret. S’ils ont les mains libres, alors ils vont apporter leur culture omnisports développée dans Tout le Sport.
Il faut donc carrément changer la ligne éditoriale à Stade 2 ?
« Entre Sharon Stone et le kayakiste Tony Estanguet, le choix est vite fait ! » C’est la tendance. Ce sont des paroles de Lionel Chamoulaud. Voici la ligne éditoriale. Aujourd’hui, on invite en plateau une danseuse du Crazy Horse ou Adriana Karembeu mais on refuse de faire un reportage sur Thomas Bouhail qui n’est « que » Champion du Monde de gymnastique. Il faut clairement que ça change ! On est tous très attachés à notre métier, à notre service, aux gens qui travaillent dans ce service et aux émissions de ce service. Quand on voit la dérive éditoriale, les audiences qui diminuent comme une peau de chagrin, la rédaction qui s’éteint à petit feu, la piètre image que nous avons à l’extérieur, c’est notre droit d’exprimer notre mécontentement. C’est même notre devoir. On a envie d’être fier de notre métier. Fier de notre service. Fier de notre émission.
Un changement à prévoir très rapidement alors ?
Ce serait bien que ça aille vite. Le changement ne se fera pas dès ce week end car Stade 2 ne durera que 40 minutes en raison du match Irlande-France et une grosse part de l’émission sera consacrée au rugby ce qui est légitime. On espère que la Direction nous a entendu. On ne cherche pas l’épreuve de force. A priori, on nous a parlé de nouvel équilibre, de meilleur dosage. A voir …
N’empêche, ce dimanche la priorité était d’inviter … David Guetta !!! Au prétexte qu’il aurait été approché par le comité d’organisation des Jeux Olympiques pour faire partie de l ‘équipe de campagne d’Annecy 2018 !… David Guetta !!! Et voilà, on a un DJ comme invité. Et à côté de ça on a de très bons reportages dans les placards qui ne passent jamais. Heureusement le DJ n’est pas dispo cette semaine. Ouf !!! On va pouvoir parler un peu de sport …
On vous sent hyper démotivé…
Démotivé ??? Jamais ! Désabusé oui et en colère, comme la grande majorité de la rédaction. Chez nous la seule reconnaissance, c’est l’antenne … ce qui passe à l’antenne. Faire un reportage qui n’est pas diffusé, proposer des sujets non retenus, c’est ne pas exister. Et c’est un sentiment pénible. Certains le vivent très mal.
On aimerait que Daniel Bilalian mette en application ce qu’il nous avait dit à son arrivée, faire de Stade 2 « l’Express » du sport. Avec de l’actu, des magazines et des invités incontournables. Ca c’est un projet auquel toute la rédaction adhèrerait. Mais le talk-show, c’est plus possible.
Vous vous donnez quelle échéance pour engager les changements dans Stade 2 ?
On a fait une réunion lundi dernier, une grosse réunion de rédaction. Il y avait tout le monde, elle a duré 4h30 et Daniel Bilalian, qui pourtant ne s’occupe pas de l’éditorial, est resté deux heures à écouter. Tout le monde s’est exprimé, de manière virile parfois, mais dans le respect de tous.
La Direction et la Rédaction en chef nous ont écoutés. J’espère qu’ils nous ont aussi entendus. On va voir si les actes suivent. La rédaction a de la mémoire. Il ya eu 2 motions de défiance votées l’an dernier. Ce sont des gestes forts. Mais rien n’a changé. Si …on fait encore moins d’audience et il y a moins de reportages que jamais.
Maintenant on arrive à un point où les paroles ne seront plus suffisantes. Nous ne sommes pas partisans de la méthode dure. Pour le moment, le service des sports est tendu mais ça n’a pas éclaté. Il est sûr que si on ne voit vraiment aucun changement venir très vite, la situation pourrait devenir plus compliquée. La rédaction avisera …
Que disent vos chefs ?
Ils ont conscience je pense de ce malaise. A eux de prendre les bonnes décisions. On n’a jamais été aussi nombreux (56 journalistes) et on n’a jamais eu aussi peu d’émissions. En 6 ans, « Samedi Sport », « Sport Dimanche », « Le Magazine Olympique » ont disparu de l’antenne. « Tout Le Sport » est passé quotidiennement de 8 à 5 minutes.
Daniel Bilalian en a conscience mais il n’arrive pas à nous trouver du travail. Même sur France 4 ou sur France 5. « C’est plus facile d’acheter une épreuve à 10 millions d’Euros que de trouver une case d’émission sportive sur tout le réseau France Télévisions » nous répète t-il souvent. C’est dommage car avec notre savoir-faire ; on aurait les moyens de faire une très belle émission et mettre en valeur toutes les disciplines.
Maintenant, il nous dit « Arrêtez de vous plaindre, regardez autour de vous, vous êtes les seuls à faire des voyages. Sur les chaînes du câble ils n’ont pas cette chance. La vie est belle … ». Léger comme argument. Très léger.
C’est comme si on était au Real Madrid. On a de belles installations, on est payé, on fait des déplacements à Milan, Manchester ou Munich … la vie est belle. Sauf que nous on ne joue pas. Les journalistes sont relégués sur le banc de touche quasiment tous les dimanches.
Pendant ce temps, l’équipe perd tous ses matchs (l’audience) et en plus elle joue mal. Mais surtout on ne change rien. Chez nous, on ne change pas une équipe qui perd. Alors le groupe est au bord de l’explosion. Ca ferait un beau sujet Stade 2 ça, non ?
Propos recueillis par Vincent Rousselet-Blanc pour Pleine Lucarne.