Foot | L'enfer du banc
«Ça ne s'arrête jamais...»
À quoi ressemble vraiment le quotidien d'un entraîneur ? Les journées interminables au centre d'entraînement, les nuits sans sommeil, l'adrénaline des matches... Cinq d'entre eux racontent cette passion qui ronge de l'intérieur. C'est le premier volet de notre série consacrée à «l'enfer du banc».
Quand on demande à un entraîneur de prendre le temps d’évoquer son métier, on s’adresse plutôt à un technicien… sans activité. «Sur un tel sujet, il vaut mieux appeler un mec au chômage!», en souriait Frédéric Hantz au premier coup de téléphone. Boulot, boulot, boulot… Ainsi pourrait se résumer la vie de ces hommes qui passent 90 minutes sur un banc de touche mais 40, 50 ou 60 fois plus à préparer les matches. Les aléas d’une carrière offrent des sas de «liberté» plus ou moins grands: Frédéric Antonetti, Elie Baup, Francis Gillot (qui a entretemps replongé, à Shanghaï), Frédéric Hantz et Rémi Garde ont accepté d’évoquer, chacun à leur façon, cette mission sans temps mort.
«Vous n’avez pas une minute, résume le premier, passé notamment par Bastia, Saint-Etienne, Nice et Rennes, qu'il a quitté en 2013. On imagine l’entraîneur qui s’occupe des entraînements et du match. S’il n’y avait que ça à faire…» Le natif de Venzolasca, en Corse, parle de son métier avec frénésie et ne s’arrête que pour reprendre son souffle. Il le reconnait lui-même: le Fréderic Antonetti entraîneur a beaucoup de mal à déléguer et veut être «au centre de tout». «C’était réunion sur réunion, avec le staff technique, le staff médical, les dirigeants – parfois les actionnaires – les joueurs, les médias… Il y a aussi les réunions de recrutement, d’organisation des compétitions. Il faut aussi préparer et superviser les déplacements…»

Ajoutez un match en semaine et vous pouvez rayer les cases repos. Elie Baup à l’OM, Francis Gillot à Bordeaux et Rémi Garde à Lyon ont connu récemment les matches européens et les joueurs qui viennent tous les jours pour s’entraîner. Mais en dehors de ce programme purement sportif, l’entraîneur prépare, rencontre, discute. «Il y a 100 000 choses à faire et tout prend du temps, se souvient Garde, plus pudique quand il faut parler de son expérience. Vous êtes dans l’anticipation du match d’après, dans l’analyse du match précédent, vous managez aussi la bonne quinzaine de personnes dans un club qui travaille autour de l’équipe : le service médical, le recrutement, l’intendance, les analystes vidéo, les adjoints… Et puis vous avez 30 joueurs sous contrat donc 30 dossiers à gérer au quotidien.»
«Il y a 100 000 choses à faire et tout prend du temps»
Antonetti consacrait d’ailleurs deux à trois heures par jour aux entretiens. Certains avaient lieu dans son bureau, en particulier ceux des jeunes qu’il faut accompagner dans leur progression et leur apprentissage du haut niveau. Arrivé à 8 heures au centre d’entraînement, il en partait au plus tôt à 19 heures. Et une fois rentré, le foot continue à la télé. Ligue 2 le lundi soir, Coupe d’Europe en semaine, matches du week-end: Francis Gillot ne ratait presque aucune rencontre, en pensant à la prochaine de son équipe.
«L’entraîneur est constamment dans une analyse, sur ce qui va, ce qui ne va pas…, poursuit Hantz. Ça peut être intérieur mais ça ne s’arrête jamais.» Garde: «À aucun moment, vous pouvez vous dire "J’ai tout bien fait, j’ai tout bien préparé, j’ai fait tous les dossiers et je peux librement passer à autre chose". Vous pouvez toujours voir un match supplémentaire de votre futur adversaire, toujours revoir un de vos matches et ainsi de suite, jusqu’à l’infini.»
Même la nuit, l’ancien entraîneur de l’OL cogitait. «Qu’est-ce ce que je vais dire à tel joueur ? Est-ce que je lui dis tout ? Comment je lui dis ? Avec quelles formes ? Les relations humaines se jouent sur des subtilités, donc ça se prépare.» Antonetti dormait «4-5 heures par nuit en moyenne. Et je me réveillais souvent, précise le Corse. Plus d’une fois, je me levais 10-15 minutes, je buvais un verre d’eau et je retournais me coucher. Je redormais 2 heures puis je me levais à nouveau. Ça m’arrivait de me lever à 4 heures du matin pour revoir le match. Très souvent, je me levais à 4, 5, 6 heures du matin, et avant de partir, je préparais l’entraînement ou je regardais un match.» Frédéric Hantz, Francis Gillot et Elie Baup disent mieux dormir dans la semaine et même la veille du match, mais après…
http://www.dailymotion.com/video/k1Bx0DYf23nETRax2ntDès le lendemain du match, il faut pourtant repartir, malgré la nuit quasi-blanche. Sur une saison qui s’étale de fin juin (début de la préparation) à fin mai, difficile d’éviter les coups de fatigue. De 2005 à 2014, Francis Gillot n’a jamais décroché. Il en plaisante: «Au bout de 9 ans, on a quelques centaines d’heure de sommeil en retard…» Malgré les micros-siestes pour tenir en journée, il payait la note en fin de saison, jusqu’à sacrifier une bonne partie de ses vacances pour se reposer: «Pendant pratiquement une semaine, je dormais, j’étais vraiment défoncé. Je passais la première semaine dans mon lit ou dans mon fauteuil. C’était le seul moment où je reprenais un peu de fraîcheur. Pendant la saison, c’était impossible.»
Un rythme cardiaque qui grimpe jusqu'à 170 pulsations/minute pendant un match
Pour tenir le coup, Elie Baup essayait de trouver du temps pour faire du sport. «J’en parlais avec Arsène Wenger récemment, il faut un physique adapté. C’est tellement usant.» Un soir de match, le cardio-fréquencemètre avait révélé un rythme cardiaque grimpant jusqu’à 170 pulsations/minute: «Sans courir, rien qu’en étant sur le banc… »
Stress, adrénaline, pression… Les entraîneurs ont du mal à mettre des mots sur cette sensation qui les habite au quotidien. «Ce n’est même pas de la pression, essaie Hantz. C’est plutôt une concentration constante sur tout ce que vous faites, tout ce que vous dites, tout ce que vous décidez. Le match, c’est le match mais on sait que le match n’est que le fruit de ce que l’on a fait avant, dans la semaine, de tout ce qu’on a mis en place, des joueurs qu’on a à disposition.»
http://www.dailymotion.com/video/k46AOi0xx7mYfNax2s7Une fois les décisions prises et le match lancé, il faut foncer. Absorber la dose supplémentaire d’adrénaline et de stress. Et renoncer à même pouvoir jouir de la victoire. «Si, un petit quart d’heure…», corrige Frédéric Antonetti. À peu près le temps qu’il fallait à Francis Gillot pour remonter le long tunnel du stade Chaban-Delmas, à Bordeaux, et rejoindre les vestiaires, en savourant.
Pendant que joueurs et supporters profitent, l’entraîneur, aspiré par les interviews, est «déjà dans le prochain match, assure Hantz. Vous faites passer des messages. Vous n’êtes pas dans un relâchement ou dans du bonheur, vous êtes encore dans le job et dans l’anticipation.»
Comme si la prochaine étape était toujours plus importante que la précédente, juge Garde. La décompression peut éventuellement avoir lieu le lendemain. «Les dimanches de lendemain de victoire sont des moments jouissifs, observe Hantz. Surtout quand vous regardez les matches de 14 heures, 17 heures, 21 heures et que vous avez gagné. Quand vous êtes tranquille dans votre canapé, tranquille avec les trois points, c’est le meilleur moment de la semaine.»
En cas de défaite, les heures qui suivent sont évidemment infernales. Il faut revoir le match, analyser ses erreurs… La nuit est très longue. «Beaucoup de choses reviennent à l’esprit, souffle Garde. Un entretien que vous avez eu dans la semaine avec un joueur et qui n’a pas porté ses fruits ou un changement (pendant le match) qui n’était peut-être pas opportun…»
«On se mettait sur la sellette»
«Je me remets beaucoup en question aussi, abonde Gillot. On avait un debrief le lendemain avec le staff et je leur demandais: qu’est-ce qui était bien ? Pas bien ? Est-ce que j’aurais dû faire autrement ? On se mettait sur la sellette.»
Dans les 48 heures suivant une défaite, il pouvait être d’une humeur exécrable. Les soirs de colère, Hantz, lui, préférait noter ce qu’il allait dire à ses joueurs. «Vous pouvez avoir une nuit chez vous où vous êtes par terre, personne ne le sait mais le lendemain, il faut absolument repartir, lance Frédéric Hantz. La fonction première de l’entraîneur, c’est de trouver des solutions, en tout cas d’en chercher et de montrer que vous avez du répondant.» Et c'est une autre semaine qui redémarre, sans le moindre répit.