Citation
ENCORE RATÉ
Jérôme Latta - mercredi 14 octobre 2009
Après les tentatives avortées des quotidiens sportifs low cost, le Quotidien du foot attaque le monopole de L'Équipe sans style ni idées.
Après bien des reports, le Quotidien du foot a enfin été mis en kiosque par le groupe Lafont Presse (1), avec une bonne année de retard sur la date initialement envisagée. Des raisons techniques ou commerciales ont bien été avancées, mais plus sûrement, il s'est surtout agi d'observer la bataille entre Le 10 Sport et Aujourd'hui Sport, et d'en attendre l'issue (lire "Les joies du quotidien" et "Canards boîteux").
Il n'est toutefois pas certain que la disparition de ces deux "précurseurs" soit une bonne nouvelle pour le nouveau venu, tant elle a semblé indiquer qu'il n'existait pas de marché pour des quotidiens spécialisés low cost... En cours de route, Robert Lafont avait d'ailleurs affirmé qu'il tournait le dos à ce modèle en promettant un journal "de qualité, totalement différent", vendu 75 centimes. Finalement affiché à 95 centimes, le résultat ne remplit pleinement qu'une promesse: être "le premier quotidien 100% foot". (2)
Le monopole, et après?
Là où Michel Moulin comptait sur les synergies avec le groupe NextRadioTV et avec les effectifs de RMC, Robert Lafont s'appuie sur son réseau de rédacteurs locaux au sein des dix éditions régionales du mensuel Le Foot, afin de réduire les coûts en agrégeant la main d'œuvre et les contenus. On doute que ce soit vraiment un modèle économique et une fois le journal entre les mains, on est en revanche certain que cela ne constitue pas un modèle éditorial.
Dans son édito de une, le patron ne parle d'ailleurs pas de son journal, mais du "défi immense" consistant à "apporter une complémentarité à une presse sportive totalement monopolistique". Le communiqué glissé dans un vide de la page des résultats enfonce ce clou: évoquant "un événement face au monopole de L'Équipe dans la presse sportive", il bégaie son objectif: "En cas de succès, Robert Lafont aura démontré qu'aucun monopole n'est jamais acquis. Une bonne nouvelle pour la liberté de la presse et la diversité des journaux". Bien. Mais est-ce que cela peut constituer une motivation en soi pour le lecteur, quand la seule prétention affichée est de "traiter plus à fond de l'ensemble des différents championnats"? (3)
Maquette dissuasive
S'il faut commencer par un constat positif, ce sera justement celui du volume de contenus de ce premier numéro. Quantitativement, il y a plus à lire qu'il n'y en avait dans Le 10 quotidien et AS. Mais la première chose qui saute aux yeux, c'est une maquette d'une invraisemblable pauvreté, abandonnant la plus infime propension à l'originalité au point qu'elle paraît réalisée avec des logiciels et des ordinateurs d'il y a vingt ans. L'impression est un peu celle d'une page web dont le téléchargement a été perturbé et dont les polices s'affichent mal.
La plupart du temps, la page comprend deux colonnes encadrant deux articles superposés au coin desquels on a inséré des photographies d'une immense banalité (4). La monotonie gagne d'autant plus vite le lecteur que le contenu, hélas, est à l'avenant. Articles, brèves, (rares) interviewes: les formats, d'une totale orthodoxie, se suivent en cortège au détriment de toute variété et de toute originalité, allant jusqu'à se paraphraser mutuellement. Cela nous épargne les écarts racoleurs des deux précédentes tentatives, et les papiers sont écrits avec application, mais sans tonalité ni point de vue. Pour ne rien arranger à l'impression d'amateurisme et à la platitude générale, les coquilles sont presque aussi nombreuses que les tournures maladroites.
Produit sans marque
On ne peut même pas dire, à l'instar des deux tentatives Amaury-Moulin, que le produit est trop proche des gratuits: ceux-ci sont infiniment plus sophistiqués. L'abandon de toute personnalité semble d'ailleurs proclamée d'emblée par ce titre platement descriptif, qui ne fait même pas l'effort de ressembler à un logo en couverture. Ce n'est plus un low-cost, c'est un produit de distributeur.
Le rubriquage est aussi trépidant que celui d'un annuaire téléphonique avec des séries de pages baptisées "Actu Ligue 1", "Actu Calcio", etc., à peine dérangées par un "entretien choc" ou un "gros plan". Le choix des invités de ces deux rubriques, Noël Le Graët et Gérard Banide, souligne d'ailleurs une certaine absence de glamour qui paraît bien courageuse par ces temps de pipolisation. Le Gignac de une fait ainsi contraste avec le Zidane qu'avait décroché Le 10 Sport pour son premier numéro. Surtout, on ne trouve pas de trace des "consultants" que s'étaient disputés Aujourd'hui Sport et Le 10 Sport, afin de s'offrir la caution de quelques têtes de gondole. Ce serait tout bénéfice si le contenu se fixait quelque ambition par ailleurs.
Un quotidien sans lendemain
On peut certes accorder au journal le temps de s'améliorer, mais il n'a pas l'excuse d'avoir été improvisé, et surtout, l'existant consacre un tel manque d'idées qu'il faudrait déjà une révolution pour redonner des chances cette entreprise hasardeuse. "Un premier numéro, ça se soigne quand même. Là j'ai l'impression qu'ils ont voulu faire comme si les lecteurs allaient découvrir le foot avec eux", a résumé un lecteur des Cahiers sur le Forum. Avec un point d'équilibre à 50.000 exemplaires vendus et un objectif de 80.000 – niveau que n'ont pas réussi à atteindre les ventes cumulées d'Aujourd'hui Sport et du 10 Sport (5) –, ce lancement en pleine période de crise pour la presse payante apparaît d'autant plus incongru qu'il s'effectue en sacrifiant tout ce qui aurait pu composer un semblant de projet éditorial. Le Quotidien du foot est une nouvelle variété de cette démission journalistique qui semble la principale stratégie opposée au déclin des médias traditionnels. Il s'engage dans le combat avec les armes d'un petit Poucet de Coupe de France. On en a déjà vu créer la surprise, mais là, ce serait une stupéfaction.
(1) Le groupe de Robert Lafont édite 80 magazines spécialisés (dont Entreprendre, Célébrités Magazines, Le Foot).
(2) Précisons que nous avons été un temps en contact avec le groupe Lafont afin d'évoquer la production de contenus sous le label "Cahiers du foot". Ces discussions n'ont pas eu de suites. Nous attendions le nouveau journal sans regrets de ce point de vue, et avec curiosité.
(3) Le communiqué évoque également les cinq millions d'euros investis et la vingtaine de collaborateurs mobilisés pour "le seul lancement de quotidien national en 2009".
(4) Qui souligne par contraste la qualité de l'iconographie de L'Équipe – laquelle reste cependant d'un académisme tragique.
(5) Le numéro 1, bien que tiré à 200.000 exemplaires, ne comportait en outre qu'une seule page de publicité.
source:
LesCahiersDuFoot