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Message à ceux qui confondent le fair-play financier et la DNCG européenne
le 28/04/2014 à 21:59
Vous vous souvenez du temps pas si lointain où les clubs français geignaient après chaque échec en Ligue des champions ? "Ah, si on avait eu une DNCG européenne, ça ne se passerait pas comme ça", nous disaient-ils en substance. Ce n’est pas que les clubs français travaillaient moins bien. C’est qu’on leur interdisait de faire comme les autres à cause du contrôle de gestion, ajoutaient les dirigeants courroucés.
Erigé en sacro-saint principe de gouvernance depuis 1991, cette règle les oblige à présenter un bilan financier équilibré à la fin de chaque saison. Il est difficile de nier que cette façon de voir les choses avait un fond de vérité. Pour un Lyon, un PSG, un Monaco, un Lille des années 2000, regarder le Chelsea d’Abramovitch revenait à contempler un double mirage. Premier mirage : la L1 n’attirait pas d’investisseurs aussi bien-portants. Deuxième mirage : les aurait-il attirés, il n’aurait pas eu les moyens de dépenser à fonds perdus pour construire son équipe, la DNCG aurait immédiatement présenté la note ou la sanction. Mais en 2007, Alléluia, Michel Platini était porté à la tête de l’UEFA. Dans son programme, la promesse de la fin des victoires à crédit. La vengeance n’allait pas tarder.
Tant que les objectifs du nouveau patron – français, bien sûr – de l’UEFA étaient clairs mais le dispositif flou, ou mal compris, la France du foot pouvait rester dans l’illusion que son modèle serait copié. Les objectifs ? Obliger les clubs à modérer leurs prises de risque financière afin de ne pas susciter des pertes si fortes qu’elles menaceraient leur survie. Le dispositif : une tolérance décroissante sur les déficits des clubs en fin de saison. "La DNCG européenne arrive", titrait le JDD en 2009 au moment du vote. Il était temps.
Le problème, c’est que les mots ont un sens et qu’il n’a jamais été question de ça. Les notions de "fair play" et de "contrôle" ne sont pas rigoureusement les mêmes. La finance et la gestion ne sont pas exactement synonymes non plus. Et pour ceux qui en doutaient encore, il suffisait de lire le journal la semaine dernière pour s’en convaincre. On pouvait y voir :
- Michel Platini taclant le dispositif français de la DNCG : "En France, tant que tu payes et que tu ne fais pas de déficit, c'est bon, tu peux jouer. Frédéric Thiriez a pourtant annoncé qu'il soutenait l'idée du fair-play financier" (ce qu'il faut retenir de son interview au Parisien)
- Le même Frédéric Thiriez reconnaissant avoir censuré l’introduction du patron de la DNCG, Richard Olivier, destinée au rapport annuel 2012/2013. "J’ai estimé que cette préface, consacrée à une attaque en règle du fair-play financier, était à la fois hors sujet et déplacée."
- La promesse d’une sanction infligée au PSG pour soupçon de dopage financier. On parle d’une interdiction d’aligner les recrues en C1, même si Nasser Al-Khelaïfi annonce qu'il ne craint rien.
Vous ne rêvez pas : la règle qui devait permettre aux clubs français d’enfin aller chercher les grands d’Europe va au contraire pénaliser celui qui, parmi eux, a enfin les moyens de se mêler à la bagarre : le PSG. Pendant ce temps, la dette d’un Manchester United (plus de 800 millions), d’un Liverpool (plus de 400 millions) ou des deux grands d’Espagne (plus de 300 millions) se porte toujours aussi bien, merci pour elle.
Le pompon a été décroché par Michel Platini vendredi à Paris. Feignant de ne pas vouloir jouer au gendarme, il assurait : "Le fair-play financier a été mis en place pour aider les clubs, pas pour les punir." Du côté du PSG pourtant, on sent plutôt venir la punition et on n’a pas exactement besoin d’aide pour administrer ses finances. Le trésor de guerre de QSI, de QTA et de Qtout ce que vous voulez, fait très bien le job. La DNCG française n’y trouve d'ailleurs rien à redire. Mais les Français sont d’éternels incompris et Nyon ne devrait pas tarder réveiller les contestations.
C’est qu’au siège de l’UEFA, les fameux sages indépendants nommés par Michel Platini ont reçu une mission beaucoup plus intrusive que celle de la DNCG française. Dans un foot français rigoureux mais qui peine à détacher un modèle de développement économique puissant, le rôle de la commission bien de chez nous est bien souvent de demander aux actionnaires de passer à la caisse pour que les comptes passent du rouge au vert. Pas question d’interroger la structure des recettes et des coûts : tout doit être réglé à court terme, tout de suite, là maintenant. Mis en demeure, les actionnaires ronchonnent. Mais, s’ils ne décident pas de vendre par manque de cash, ou ne trouvent pas un joueur à vendre très cher, ils signent le chèque. Le contrôle de gestion aura triomphé, prêt cependant à repasser l’année prochaine.
La DNCG ne s’intéresse pas à la dynamique économique de chaque club. Elle regarde les chiffres en fin de saison. Et si un grand propriétaire veut y laisser sa fortune, elle dira bravo et merci.
Les sages de Michel Platini, eux, se moquent à peu près du court terme. Ils tolèrent d’ailleurs des déficits chaque saison. Mais ils sont les garants du fait qu’il existe un modèle économique capable de soutenir l’activité du club au niveau auquel celui-ci veut le porter. Cela n’a rien à voir. Si, demain, elle conteste au PSG la validité de son contrat de 200 millions avec QTA, l’UEFA ne dira rien d’autre au PSG que la chose suivante : "Mon ami, tu ne vends pas assez de droits TV, de maillots, de places et d’espaces pub pour pouvoir t’acheter Zlatan, Thiago Silva et Cavani. Tu n’as pas de modèle. Ce n’est pas fair-play d’aller chercher ailleurs de l’argent que ton équipe n’est pas capable de générer. Tu as les yeux plus gros que le ventre. Les autres bien-portants ne vont pas aimer. Sanction!" Elle aurait une drôle de tête à parler au club de la capitale de son risque de survie, sauf à mettre en cause la volonté des actionnaires actuels de s’engager pour longtemps. Entre gens biens, ça ne se fait pas.
C’est un choix politique comme un autre. Un choix qui n’a pas fini d’agiter le sérail. D’autant que l’UEFA, avec cette stratégie, cautionne l’endettement colossal cumulé par certains grands d’Europe à l’époque d’un laisser-faire qui serait aujourd’hui généreusement puni. On n’a peut-être pas fini d’entendre geindre les clubs français. Les clubs monégasques aussi d’ailleurs. Mais pour cela, on vous demande un peu de patience.
Cédric ROUQUETTE
Eurosport