Voici donc l'interview d'Emery parue dans L'Equipe de ce matin :
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LOS ANGELES (USA) - En exclusivité pour L'Équipe, le nouveau coach du PSG s'est confié pour la première fois depuis son arrivée à Paris. Pendant les trois quarts d'heure de cet entretien mené en français, Unai Emery a fait passer son message en joignant de grands gestes à la parole. Comme sur le terrain, sa passion transpire.
«On vous voit beaucoup avec les joueurs pendant les entraînements, vous leur parlez, vous courez beaucoup... C'est votre marque de fabrique ?
Ma manière d'entraîner est née de manière instinctive. Je suis très près des joueurs quand ils travaillent parce que je crois que, pour l'activité et l'intensité des exercices, avec mon assistant, on se doit de faire comme cela. Cette participation active, c'est pour ressentir le travail, l'intensité, l'implication des joueurs.
Cela vous permet-il aussi de mieux comprendre et de mieux connaître vos joueurs ?
Non, quand tu es plus près des joueurs, quand tu leur parles d'intensité, je pense qu'ils deviennent plus actifs pendant les exercices. Cela les prépare pour le travail tactique et physique. Mais cela les prépare aussi psychologiquement pour endurer cette intensité.
Cette proximité avec les joueurs sur le terrain se poursuit-elle en dehors ?
Normalement, je veux que la communication soit fluide. Mais il doit aussi y avoir une distance avec l'entraîneur, et c'est une relation professionnelle que je souhaite d'abord instaurer. Et après, si la relation est bonne, les liens plus personnels viendront. La priorité, que ce soit sur le terrain ou dans les bureaux, c'est le professionnalisme afin que les joueurs sachent ce que j'attends d'eux et que j'arrive bien à le leur transmettre. Le lien professionnel c'est : travailler dur (il frappe des mains), avec intensité (il le refait). Il y a des combats à mener, c'est ça qui fait une équipe.
Le collectif doit-il primer sur les individualités ?
Un très bon joueur a toujours besoin de l'équipe. Tout individu participe au parcours de l'équipe. Mais, avec elle, il va grandir et il va gagner. Mon objectif est de donner une identité, une mentalité collectives.
Comment trouvez-vous l'effectif après trois semaines à sa tête ?
Je suis très content. Il est dans les bonnes dispositions pour répondre aux efforts demandés tous les jours. Il réalise bien le travail souhaité. Je veux qu'il soit content, concentré, et avec l'envie de travailler. Mais je connais aussi les joueurs. Je suis leur nouvel entraîneur. J'espère que dans quatre, cinq, six ou sept mois, ils travailleront toujours comme aujourd'hui.
Vous en doutez ?
Je l'ai déjà dit aux joueurs, au fil des arrivées après l'Euro ou la Copa America. Mais quand on sera au complet, je le répèterai. Vous avez réalisé un grand travail, vous avez gagné, et je respecte cela ainsi que l'oeuvre de mon prédécesseur (Laurent Blanc). Moi, je suis venu pour améliorer les détails et ce qui avait déjà bien fonctionné. C'est très difficile. Pour moi, c'est un grand défi. Seulement, moi, je ne connais qu'un chemin : le travail et la capacité du groupe à le supporter. Quand un effectif est fort, si un joueur s'écarte, le collectif est capable de le rattraper pour que tous les joueurs se battent ensemble. Le PSG va grandir, et c'est une belle opportunité, pour les joueurs mais aussi pour moi et mon staff, de laisser une trace en France comme en Europe.
Les joueurs parlent beaucoup de l'intensité de vos séances...
Le club m'a appelé parce qu'il connaît mon travail. Mon histoire m'a permis de grandir comme entraîneur alors que je n'étais pas un grand joueur. Mais dans mon sang coule le football. Mon grand-père était gardien et a gagné la Coupe du Roi (en 1924 et 1927, avec le club d'Irun), mon père a été professionnel (dans les années 1950 et 1960). À la maison, le foot occupait une grande place. J'ai grandi dans cet environnement. Dès que j'ai arrêté ma carrière de joueur (en décembre 2003), j'ai tout de suite entraîné une équipe de Segunda B (Troisième Division, Lorca). Et avec le travail, la passion, l'intensité et le souci du détail, j'ai progressé et j'ai pu m'élever (il mime avec les bras) jusqu'à Séville et les trois succès en Ligue Europa (2014, 2015, 2016). Voilà mon parcours. Et le PSG a pensé à moi.
Cela vous a-t-il surpris ?
Eh bien... (Il réfléchit.) Quand tu gagnes une Ligue Europa, tu obtiens la reconnaissance. Gagner une fois, c'est bien, deux fois, trois fois, ce n'est pas facile... Il n'y a que Giovanni Trapattoni, un grand entraîneur, qui l'a gagnée trois fois (la Coupe de l'UEFA, avec la Juventus en 1977 et 1993, avec l'Inter en 1991). Je suis le deuxième. Le PSG m'a appelé alors que j'étais très bien à Séville, mais après, avec le PSG, je pense que je peux aller un peu plus loin encore. Ce club m'offre cette opportunité. Si tu travailles bien, les opportunités finissent par arriver.
Vous devez désormais aider le PSG à franchir un palier...
Ce club avec son actionnaire est jeune. Mon parcours, avec ce que j'ai réalisé avant, doit lui offrir la possibilité de grandir. Mais à moi aussi. Avant de signer, j'ai demandé au président pourquoi il me voulait. Il m'a donné cette explication : "Le travail que tu as fait pour grandir (il mime de nouveau) et gagner trois Ligues Europa, je le veux aussi pour mon équipe, avec ta passion, tes rêves. Mon équipe est bonne, mais je veux un plus."
Vous vous exprimez déjà en français. Était-ce un passage obligé pour votre intégration à notre Championnat ?
Oui. Le lendemain de l'appel du PSG, j'ai commencé à prendre des cours de français. J'avais déjà un peu étudié cette langue, car j'ai grandi près de la frontière (au Pays basque). Mon frère vit à Hendaye et la parle très bien. Je me suis aussi entouré de Juan Carlos Carcedo et de Julen Masach (deux de ses adjoints) parce qu'ils parlent français.
Vous prenez vos décisions conjointement avec votre staff ou c'est vous qui tranchez ?
Je discute avec mes adjoints ou avec les joueurs et j'écoute leurs arguments, mais c'est moi qui décide à la fin. C'est ma responsabilité. L'entraîneur, c'est moi.
Avez-vous un modèle ?
Pendant mes quatre années à Valence (2008-2012), il y avait Pep Guardiola au FC Barcelone. Il a apporté beaucoup de choses au football : tactiquement, dans l'intelligence de jeu de l'équipe, le déplacement des joueurs et la possession. Un autre coach m'inspire, c'est Diego Simeone, dans un style différent. J'aime beaucoup la pression et l'intensité qu'il demande à son équipe. Je veux que mon équipe prenne le jeu à son compte et affiche de la personnalité. Je me suis inspiré de Guardiola, de Simeone, mais aussi de Bielsa.
Qu'avez-vous aimé chez lui ?
Il a travaillé sur l'analytique, c'est-à-dire en faisant répéter les choses sans cesse aux joueurs afin que cela devienne une habitude, un réflexe.
Vous êtes un adepte de la vidéo...
La vidéo, c'est très important pour analyser nos prestations et les améliorer, mais aussi afin de connaître l'adversaire. Comment joue-t-il et que devrons-nous faire face à lui ? Moi, je m'occupe de l'analyse vidéo collective.
Vous pouvez en faire jusqu'à deux ou trois heures par semaine...
Oui, je fais deux ou trois séquences par semaine de vidéo collective. Carcedo se concentre sur le travail vidéo individuel de chacun de nos joueurs et Villa (Pablo Villanueva) sur les adversaires. Moi, je gère l'aspect collectif de mon équipe et de notre adversaire.
Quel système tactique allez-vous choisir au PSG ? Le 4-2-3-1 ?
J'ai commencé à évoluer en 4-3-3 au début de ma carrière, puis je suis passé au 4-2-3-1. Cette équipe a bien travaillé ces dernières saisons en 4-3-3 et elle a la capacité pour évoluer dans l'autre système. Les deux sont proches, et, pour moi, ce n'est pas important. Ce qui compte, c'est comment les joueurs vont se déplacer sur le terrain. Le système, c'est une photo à un moment donné, mais après dix secondes et du mouvement, si tu refais une photo elle sera différente. J'aime le mouvement, savoir comment tromper l'adversaire.
Vous ne recherchez pas que le résultat ?
Dans le football, le plus important est de gagner. Mais, pour moi, c'est tout aussi important que les supporters aient vibré à travers le jeu de l'équipe. Si tu as la possession mais que tu ne fais que des passes, les supporters vont s'endormir. La possession, c'est bien, mais ce n'est qu'un instrument. Il faut rajouter ensuite le mouvement, l'intensité et l'énergie.
Comment avez-vous appréhendé l'arrivée de Patrick Kluivert , le nouveau directeur du football du PSG ?
C'est un ancien grand joueur qui connaît différents styles de football. C'est bien qu'il soit là. Ça va aider le club à grandir. Il a de l'expérience. C'est une personne qui sent et respire le foot.
Comment travaillez-vous ensemble ?
On a débuté notre collaboration la semaine dernière. On a fait plusieurs heures de réunion ensemble et avec Olivier Létang (le directeur sportif adjoint). Quand tu parles football avec Patrick, tu te sens à l'aise parce que, pour lui, c'est facile d'évoquer le jeu et les joueurs.
Souhaitez-vous des renforts ?
J'ai besoin de connaître l'équipe, notamment les jeunes joueurs, pour savoir s'il faut en incorporer de nouveaux. Cavani a beaucoup joué à gauche, il doit sentir qu'il sera l'avant-centre, mais il a besoin d'autres joueurs avec lui en attaque. C'est le poste dont nous avons parlé, Patrick, Olivier et moi. C'est très important pour moi de bien réfléchir sans se presser.
Ce sera un élément de complément ou un concurrent pour Cavani ?
Si Cavani se blesse, par exemple, il faudra un joueur capable de jouer au PSG. Le critère, c'est de recruter un bon élément pour un grand club comme Paris.
Et Carlos Bacca, que vous aimeriez recruter selon certaines sources ?
Il est extracommunautaire (*).
(*) Bacca, qui évolue à l'AC Milan et qu'Emery a entraîné à Séville , possède la nationalité colombienne. Or chaque club a droit à quatre joueurs extracommunautaires et Paris les a déjà avec Maxwell, Lucas, David Luiz et Thiago Silva.
Comptez-vous sur Blaise Matuidi ?
C'est un très bon joueur. Nous avons beaucoup de milieux défensifs gauchers (Matuidi, Adrien Rabiot et Thiago Motta). S'il a une opportunité pour partir et s'il trouve qu'il y a trop de monde au milieu... Mais je ne veux pas qu'il s'en aille (voir page 11).
Avez-vous décidé qui serait le numéro 1 des gardiens ?
Non, j'ai beaucoup parlé avec les gardiens. Je veux deux bons gardiens (il le dit en insistant bien sur chaque syllabe et le répète plusieurs fois). Pas de numéro 1 ou de numéro 2, deux bons gardiens. Si l'un d'eux se blesse... Celui qui jouera est celui qui sera le mieux préparé. Je veux de la concurrence. Quand je suis arrivé, il y avait Trapp, après Areola a très bien travaillé. Il est du centre de formation du PSG.
Et Salvatore Sirigu ?
Il est sous contrat encore deux ans, et nous le respecterons. Il y a trois gardiens de bon niveau, même quatre (Emery fait référence au jeune Rémy Descamps, 20 ans). Sirigu connaît la situation, et nous lui avons parlé de cela. Il va nous rejoindre et travailler normalement avec le groupe.
Quels objectifs le président Nasser al-Khelaïfi vous a-t-il fixés ?
L'objectif est de grandir et de tout faire afin de devenir un candidat pour gagner la Ligue des champions. C'est un objectif clair. Mais il ne faut pas oublier la L 1 et les Coupes nationales. Si on me dit le Championnat, c'est facile, je réponds : "C'est facile si tu travailles bien." Le PSG a beaucoup gagné, donc cela veut dire qu'il a bien travaillé. On doit continuer à le faire, mais aussi grandir en allant plus loin en Coupe d'Europe.
Vous a-t-il demandé de faire plus confiance aux jeunes du centre de formation ?
Le président m'a demandé de faire le même travail qu'avant. Il m'a demandé de faire grandir le club et donc de faire grandir les joueurs. Si c'est le cas, tout le monde grandira. Si Lucas joue bien, si Cavani marque plus de buts, l'équipe va gagner et elle sera plus proche de bien figurer en Ligue des champions.»
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Décryptage
Sérénité et autorité
Cela doit être l'assurance de ceux qui connaissent la recette du succès. Pendant les quarante-cinq minutes de l'entretien qu'il nous a accordé, Unai Emery a dégagé une sérénité et une vision. Avec calme, mais certitude et autorité. Son investissement se ressent dans les mots presque autant que sur le terrain, tant il insiste sur le travail et son importance pour une réussite future. L'entraîneur espagnol a bien conscience des objectifs qui lui ont été fixés par Nasser al-Khelaïfi. Emery veut gagner, mais ne le dit pas tant que cela. Il préfère employer les verbes « grandir » et « progresser », utilisés à plusieurs reprises. Il sait sa tâche ardue mais réalisable. Avec quel gardien en numéro 1 et quel système tactique ? Les réponses ne sont pas encore tranchées, sans doute parce que sa réflexion n'est pas tout à fait aboutie. L'ère Emery vient de s'ouvrir avec passion. Dans onze jours, avec le Trophée des champions, contre Lyon, son mandat débutera vraiment, avec les hautes exigences qui accompagnent désormais la vie d'un entraîneur du PSG.