Et donc la critique :

La bande annonce de Gone Girl nous promettait un thriller vénéneux, où, au sein d’une enquête policière, la figure du couple serait mise à mal. En donnant l’impression d’en montrer trop, cette bande annonce permettait à ceux qui n’avaient pas lu le bouquin, d’échafauder inconsciemment des théories sur le pourquoi du comment de cette disparition avant même d’avoir vu le film. Et pourtant ce n’était que le premier rouage d’un brillant piège manipulatoire orchestré par David Fincher. Un piège à plusieurs dimensions qui finalement tendent à montrer la même chose : l’image et la représentation prenant le pas sur la réalité.
Il y a d’abord une dimension médiatique. Tout au long de l’enquête, le mari interprété par Ben Affleck ne sera que le protagoniste principal d’un reality show à grande échelle provoqué par les médias et relayé par la vox populi. Le FBI patine et les preuves manquent, mais très vite, l’environnement extérieur se charge d’établir un jugement élaboré à partir de rumeurs et non de faits. Il est intéressant de voir à quel point le sensationnalisme découlant du cinquième pouvoir peut influer sur la vie d'un Américain moyen lorsqu'il se retrouve au cœur de la tempête.
On peut également y trouver une dimension intimiste, puisqu’on y voit, à travers plusieurs flashbacks parsemant la première heure, deux êtres qui avait l'air follement amoureux l’un de l’autre, se déchirer petit à petit pour finalement tromper leur entourage et se tromper eux-mêmes en jouant sur les apparences (titre de l'œuvre originale). Sans en dévoiler d'avantage, sachez que Fincher s'amuse habilement à nous trimballer entre certitudes et faux-semblance, et n'y va pas avec le dos de la cuillère lorsqu'il s'agit de nous montrer jusqu'où peut aller un couple en pleine crise.
L'intrigue diabolique de Gone Girl permet à Fincher de transcender son sujet tout en y apportant une dimension cinématographique. L'importance de "l'image" se réfère évidemment à la représentation de la réalité permise par le 7ème Art, mais paradoxalement, Fincher nous offre peut-être son film le plus sobre en termes de mise en scène. Le réalisateur a vite compris que son histoire se suffisait à elle-même. Du coup le découpage est vraiment au service de son sujet, et non l'inverse. Fincher, plutôt que de jouer au petit malin à essayer de perdre son spectateur, lui donne des réponses claires, quand il le faut, et qui ne seront jamais remises en question. Ainsi, les nœuds de l'intrigue peuvent facilement être anticipés, mais là n'est pas l'intérêt du film.
Gone Girl se révèle finalement bien différent du reste de la filmographie de Fincher, même si on y retrouve certaines obsessions, certains mécanismes narratifs, et certains plans parcourant les anciennes œuvres du réalisateur. Par exemple, on pense forcément à Panic Room lorsque Rosamund Pike est filmée allongée sur son lit de profil, avec la silhouette de Ben Affleck passant à l'arrière-plan. On y retrouve également son goût pour une ambiance lourde et mystérieuse, entre le gris et le noir (appuyée encore une fois par une merveilleuse bande originale du duo Trent Reznor - Atticus Ross), ainsi que son sens du détail prononcé, aussi bien dans le choix des cadres et des mouvements, que dans les choix des acteurs. Ben Affleck est l'homme idéal pour incarner ce personnage plongé dans le "faux", et qui, acculé, cherchera à faire ressortir le "vrai". Son expression minimaliste inspire la méfiance et ne fait que renforcer les interrogations quant à sa culpabilité. Carrie Coon, qui interprète sa jumelle, très proche de son frère, prête à tout pour l'aider, compose avec talent un rôle de soutien qui est peut-être le seul lien affectif vraiment réel dans toute cette histoire. Rosamund Pike, dans un autre registre, cache tout autant son jeu que son mari, et dépasse rapidement le cadre de son personnage de femme aimante pour nous offrir une performance jusqu'au-boutiste. Même au niveau des acteurs secondaires, les choix ne sont pas anodins. Le personnage joué par Emily Ratajkowski , qualifié à un moment de "nichons à branlette", se rapporte directement au buzz crée autour l'actrice-mannequin, puisqu'elle s'est surtout fait connaitre du grand public grâce à sa très belle paire de seins dans le clip non-censuré de Robin Thicke. On en revient toujours aux questionnements posés par le film qui ne font que renforcer la vision acerbe de David Fincher sur notre société moderne.
Une vision acerbe mise en exergue par une dernière partie difficile à digérer, non pas parce qu'elle est mauvaise, mais, au contraire, parce qu'elle semble logique et implacable. Cette société de "l'image" telle qu'elle est montrée par David Fincher fait indubitablement froid dans le dos.