Citation
Jusqu'au conseil fédéral de la fin du mois de décembre, le maintien en poste de Raymond Domenech, aussi proclamé soit-il, ne peut pas être considérée comme une certitude absolue. C'est évidemment le sens de l'histoire, l'hypothèse plus que probable, la suite logique d'une qualification à la Coupe du monde, le message écrit noir sur blanc dans le contrat qui lie le sélectionneur contesté à la FFF. Mais le désastreux barrage retour contre l'Irlande qui - sur le strict plan du football, a vu s'effondrer comme un château de cartes les progrès du début de l'automne - a réveillé une contestation que Serbie - France, pour aller vite, avait étouffée. Cette contestation est violente en externe, ce qui n'est pas bien grave. Elle existe surtout en interne. C'est elle qui peut compter.
PAUL LE GUEN A EU LE MOT JUSTE : DOMENECH EST «CERNÉ» PAR UN CLIMAT DONT LES BLEUS NE PEUVENT SE PAYER LE LUXE DE S'ACCOMMODER.
On sait que Frédéric Thiriez a consulté Jean-Pierre Escalettes sur sa détermination à conserver Raymond Domenech. Le conseil fédéral couve quelques voix rebelles. L'espace politique qui leur permettrait de s'exprimer et de rafler la mise est cependant très étroit. Tout ce beau monde peut au moins s'accorder sur une chose, et surtout l'intéressé : à défaut de changer de sélectionneur, au moins celui-ci peut-il changer la façon dont il exerce sa fonction vis-à-vis du public. En 2008, ce voeu pieux avait été émis et, pour être honnête, avait surtout fait rigoler. Au point où en sont les ressentiments, il faut prendre les choses avec plus de sérieux. Les huit mois qui nous séparent de l'Afrique du Sud seront une course d'élan vers le mur si une alternative n'est pas trouvée. Paul Le Guen a eu le mot juste : Domenech est «cerné» par un climat dont les Bleus ne peuvent se payer le luxe de s'accommoder.
Il n'est pas ici question de juger sur le fond la posture choisie par Domenech depuis des années : faire barrage entre ses joueurs et le monde extérieur, ne rien dire de consistant, tout prendre sur lui au risque d'être cassant voire ridicule en conférence de presse. C'est un rôle, un masque. Il aime ça. Il l'aimait déjà - sous des formes totalement différentes - dans ses précédentes fonctions. Il a joué le rôle du méchant à moustaches durant toute sa carrière de joueur pour impressionner l'attaquant avant le premier ballon joué. Et qui se souvient que le sélectionneur des Espoirs était venu défendre sa candidature devant le conseil fédéral en 2002 avec un costume très relax et des lunettes de soleil ?
LE DOMENECH D'AVANT AURAIT FAIT DU PETIT BOIS DE TOUTES CES QUESTIONS. CELUI DES GRANDS JOURS AURAIT PRESQUE RÉUSSI À FAIRE CULPABILISER LES JOURNALISTES QUI LES POSAIENT. (...) LE DOMENECH D'AUJOURD'HUI EST UN HOMME QUI SURJOUE UN PERSONNAGE DONT TOUS LES FILONS SONT ÉPUISÉS, DONT LA RHÉTORIQUE COURT DANS LE VIDE ET SEMBLE DEVENUE SANS OBJET.
Il s'agit surtout de constater que Raymond Domenech ne parvient plus à incarner ce personnage dont il est devenu prisonnier. Lors de ce barrage, en six jours, Domenech a écourté de son propre chef trois conférences de presse sur quatre, las, comme dépassé par le monstre créé par lui. A Dublin avant le match, il avait répondu par le silence à une question sur la phrase de Michel Platini («rater une Coupe du monde n'est pas un drame»), puis s'était effacé. Après la rencontre, il avait pris congé avec un vague préavis quand il était interrogé sur le possible désaccord entre Henry et lui sur le cas de Vieira. Et après le retour, dans l'auditorium du Stade de France, c'est une (bonne) question venue d'Irlande, «comment auriez-vous réagi si vous aviez été éliminés sur un tel but?», qui a provoqué une envie d'effacement express.
Le Domenech d'avant aurait fait du petit bois de toutes ces questions. Celui des grands jours aurait presque réussi à faire culpabiliser les journalistes qui les posaient. En septembre 2008, au top de la pression autour de sa personne, c'est lui qu'il avait spontanément parlé de «l'odeur du sang» et de «l'échafaud» pour lancer une conférence de presse. Le Domenech d'aujourd'hui est un homme qui surjoue un personnage dont tous les filons sont épuisés, dont la rhétorique court dans le vide et semble devenue sans objet. Ce personnage était né de sa petite phrase sur «les fonds de tiroir» en 2004, prononcée aux Féroé et trop extrapolée à son goût. Cinq ans après, il est parfois pathétique de voir le sélectionneur s'y accrocher. Le dire avec ces mots-là n'a rien d'une agression : tous les journalistes qui ont côtoyé Raymond Domenech avant 2004 savent que le personnage est riche et qu'il a beaucoup plus à donner que cette communication désastreuse. Il feint de ne pas en percevoir le caractère profondément déstabilisateur pour son équipe. Il en a le droit : la mauvaise foi est peut-être le trait le plus permanent de sa personnalité. Mais la complaisance avec laquelle ses patrons la couvrent, après le miracle du 18 novembre, n'a plus de légitimité.
Très bon article de Rouquette pour une fois...
Source [img]http://sd-1175.dedibox.fr/iphone-illumine/icones/L[/img]