Quand le foot français se convertit au merchandising
Nicolas Richaud / Journaliste et Sophie Rahal / Journaliste | Le 27/02 à 06:00, mis à jour à 09:16
Quand foot français convertit merchandising
Les recettes générées par les produits dérivés sont désormais un enjeu majeur pour les clubs français. En progression, l’OM, le PSG ou l’OL restent cependant à des années-lumière des grands clubs européens au niveau des ventes.
Installée au pied des Champs-Elysées, la boutique du Paris Saint-Germain ne désemplit pas ce samedi après-midi et, dès le trottoir, des cordons délimitent une file d’attente. Ce n’est qu’après avoir présenté son sac au vigile que l’on pénètre dans l’écrin du club, où l’on entend d’abord les visiteurs parler anglais, espagnol, russe… puis français. Sur les deux étages s’entassent des centaines de produits dérivés estampillés PSG.
Maillots, sacs, mugs, tapis de souris, casques audio, briquets, pantoufles, peignoirs, caleçons… Le supporteur parisien aura l’embarras du choix, dimanche soir, au moment de choisir sa tenue pour regarder son équipe affronter Monaco dans le cadre de la 27e journée de Ligue 1. Une prolifération du merchandising qui est loin de se limiter au seul PSG. L’Olympique de Marseille ou l’Olympique Lyonnais affichent respectivement 800 et 600 références produits.
Ces dernières années, l’offre des cadors de la L1 s’est structurée, leurs stratégies se sont affinées et les hauts dignitaires du championnat pensent désormais « marque » et « cible ». « A Lyon, Bordeaux, Paris, le public visé va être en majorité constitué par des CSP+ », fait valoir Christophe Rousseau, dirigeant de la société Troisième Ligne, qui pilote la stratégie merchandising de Rennes, Lille, Nantes et accompagne celle de Lens.
Tous les ans, les Girondins de Bordeaux enrichissent une ligne « vintage », qui proposera bientôt de la bagagerie et des polos, en plus de deux maillots « historiques » (saisons 1985 et 1996). Du côté de Lyon, une gamme VIP a été mise sur pied et permet de porter costumes et cravates discrètement griffés OL. Une façon de toucher un public élargi, plus seulement constitué par les seuls habitués des tribunes.
Différents modèles économiques
Suivant la même logique, tout un attirail de produits est également calibré en fonction des spécificités locales. « Nos calissons d’Aix, boules de pétanque et notre pastis fonctionnent très bien », confie Sylvain Vachier, responsable du marketing des produits de l’OM. Autre illustration de ce dynamisme, certains clubs français multiplient les produits dérivés à destination des très jeunes. L’OM possède une quarantaine de références uniquement dans la gamme « bébé ». Une révolution commerciale difficilement envisageable il y a une quinzaine d’années.
« Pendant longtemps, le merchandising était uniquement vu par les clubs comme un moyen de mettre de la couleur dans le stade », ironise Xavier Thuilot, directeur adjoint du RC Lens. Mais cette vitalité de l’offre ne doit pas masquer le fait que la « gamme match » (maillots, shorts, chaussettes…) conçue en partenariat avec les équipementiers draine la majorité des revenus dégagés par le merchandising et demeure la plus prisée des supporteurs. « T out simplement parce qu’elle est la plus exposée », analyse Sylvain Vachier.
Sans surprise, les trois clubs français les plus costauds au niveau des produits dérivés sont le PSG, l’OM et l’OL, le trio de tête de la L1. Cette activité avait rapporté 28,6 millions d’euros au club de la capitale au terme de la saison 2014, selon son rapport annuel, contre respectivement 10 millions et 8,8 millions aux Phocéens et aux Gones. Mais difficile de comparer tous ces chiffres, car le modèle économique du segment merchandising des trois clubs diffère. Pour l’OM, il s’agit ici de marge nette, tandis que pour l’OL ce montant correspond à un volume brut de ventes, et celui du PSG, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, se situe à la lisière entre les deux.
La raison ? Lyon gère sa chaîne d’approvisionnement de A à Z, de la conception jusqu’à la commercialisation. A l’inverse, l’OM a externalisé la quasi-intégralité de son merchandising via des licences. Traduction, lorsqu’un « licencié » est intéressé pour fabriquer et distribuer un produit siglé OM, il toque à la porte du club et lui verse un revenu minimum garanti pour utiliser la marque ainsi qu’un pourcentage sur les ventes futures. « Nous aurions besoin de près de 100 salariés pour tout gérer en interne. Nous avons préféré opter pour une structure légère », explique Sylvain Vachier, qui confie que l’OM travaille avec une trentaine de « licenciés ». Parmi eux, des noms connus : Adidas, Haribo ou Skullcandy, et aussi des sociétés spécialisées dans le marché de la licence, telles que Weeplay ou
La Plume dorée.
« Pas le Petit Poucet du Merchandising »
Mais si le merchandising s’avère lucratif pour les grands clubs, l’OL revendiquant un rendement de 15 %, cette activité est loin d’être une poule aux œufs d’or pour tous les pensionnaires de L1. « La rentabilité ne dépasse pas 2 % pour la majorité des clubs », estime Christophe Rousseau. « On ne perd pas d’argent avec cette activité, mais ce n’est pas avec ça qu’on paie l’avant-centre », confirme Xavier Thuillot, du RC Lens. D’autant que les recettes du merchandising sont bien en deçà des autres sources de revenus des clubs, derrière les droits télé, la billetterie, le sponsoring, et ne pèsent quasiment rien dans le chiffre d’affaires global.
Résultat, de nombreux clubs n’en font pas une priorité, à l’image du FC Lorient, qui a ses habitudes dans l’élite. Son portefeuille ne compte qu’une centaine de références et sa zone de chalandise est identifiée sur un rayon bien précis qui s’étend jusqu’à Rennes (à 150 km à vol d’oiseau) à l’est, Guingamp (110 km) au nord, Brest (135 km) à l’ouest et Nantes (165 km) au sud. « Nous ne sommes pas le Petit Poucet du merchandising en France. Nous faisons les choses en cohérence avec la dimension et l’identité du club , assure Thierry Hubac, directeur de la communication du FC Lorient. Notre but n’est pas de développer des produits tous azimuts. Le merchandising est un outil de communication de proximité et un service que l’on rend à nos supporteurs. Lorient n’est pas dans la logique mercantiliste des grands clubs. »
La machine à cash du Bayern Munich
Si la problématique du merchandising a bien été prise à bras-le-corps par les habitués du haut du classement de la L1, ces derniers continuent toutefois de boxer dans la catégorie poids léger à l’échelle européenne. En dépit de ses chiffres de ventes en hausse, même le PSG fait figure de lilliputien à côté d’un géant comme le Bayern Munich. Le club allemand a terminé la saison 2014 sur un nouveau record, avec 105 millions d’euros dégagés par le merchandising, soit près de 24 % de son chiffre d’affaires.L’une des forces du Bayern Munich est la puissance de frappe de son stade : l’Allianz Arena. Dans cette arène pouvant accueillir plus de 70.000 personnes, le club dispose d’un magasin de 1.100 m2 où les quelque 1.300 produits dérivés du club sont exposés. Une machine à cash les jours de match. Pour pousser son avantage, le club y a aussi ouvert un musée. « Il est visité par près d’un demi-million de personnes par an, qui en règle générale font un passage à la boutique après la visite », souligne Andreas Jung, membre du directoire du club et en charge du commercial. Selon nos estimations, le club dégage près de 12 millions d’euros de revenus uniquement via ce « megastore ».
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« Megastore »
Ce qui n’a pas échappé aux grands clubs français : certains sont en train de se doter des structures adéquates. L’OL mise beaucoup sur son projet de Grand Stade de 58.500 places qui doit être prêt pour l’Euro 2016. Dans cette nouvelle enceinte, les produits dérivés auront la part belle, avec une boutique de 800 m² et huit concessions de 50 m². Deux kiosques de 70 m² devraient aussi voir le jour sur le parvis extérieur. Disposant déjà d’un stade rénové, Marseille a également dans les cartons un projet de « megastore » : une boutique de 1.000 m² pourrait ouvrir dans l’enceinte du Vélodrome avant la fin de la saison.
Surtout, la faiblesse majeure des clubs français, par rapport aux plus grandes équipes, réside dans leur difficulté à s’exporter. L’OL et le PSG sont loin d’être parvenus à se muer en marques mondiales et n’écoulent l’un et l’autre que 6 % et 12 % de leurs produits à l’étranger. Une paille à côté des grands d’Europe. « Manchester United en vend la majorité en Asie », expose Christophe Rousseau, qui rappelle que les Diables rouges font des tournées de présaison dans la région depuis des années.
Un club comme l’OL a cependant donné un coup d’accélérateur en la matière, tout particulièrement dans cette zone. « Notre plate-forme de vente en ligne est traduite en mandarin, coréen, japonais, et nous avons Hyundai [groupe sud-coréen, NDLR] pour partenaire maillot : tout ça nous offre une vraie visibilité en Asie », note Martial Nardone, directeur du merchandising chez l’OL. Les Gones tentent aussi des une-deux, mêlant aspect sportif et business : le club a dernièrement recruté le Sud-Coréen Kim Shin. Ce joueur sévissait au Jeonbuk Hyundai Motors, club appartenant à la filiale automobile du groupe : de quoi ouvrir de nouvelles portes à l’OL en Asie. Ce transfert n’est pas sans rappeler celui du milieu de terrain sud-coréen Park Ji-sung à Manchester United en 2005, qui a porté le maillot des Red Devils pendant sept ans.
Stars dans l’effectif
Mais les clubs français auront beau jouer sur leur image, optimiser leur distribution, cela ne sera sans doute jamais suffisant pour combler leur retard sur les grands d’Europe. « O n achète les produits des clubs qui font rêver », résume Bruno Belgodère, directeur financier et marketing de l’Union des clubs professionnels de football. « Le maillot du Real Madrid est le troisième plus vendu en France. Ceux du Bayern Munich, de Chelsea ou encore de Manchester United figurent aussi dans le Top 10. Alors qu’en Allemagne, les maillots des clubs anglais et espagnols se vendent assez peu », observe Sylvain Bouches, responsable football chez Adidas France.
Entre 2011 et 2014, le chiffre d’affaires de l’activité merchandising du Bayern Munich a augmenté de près de 140 %. Dans le même temps, les Bavarois atteignaient deux fois la finale de la Ligue des champions, s’arrogeaient une coupe aux grandes oreilles, le Championnat allemand par deux fois et attiraient dans leurs rangs des joueurs comme Mario Götze ou Javi Martinez… Aucune formule marketing ne remplacera jamais les stars dans l’effectif, une présence régulière dans le dernier carré de la Ligue des champions, des trophées dans la vitrine du club et des buts spectaculaires.
Sophie Rahal, Les Echos
Nicolas Richaud, Les Echos
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