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INCOHÉRENCE ET INIQUITÉ, LA DÉCEPTION DU FAIR-PLAY FINANCIER
L'idée partait sans doute d'une bonne intention. Mais, au lieu de réduire la dette, le fair-play financier ne fait que conforter les gros clubs, empêchant les autres de se développer pour combler leur retard.
C’est en fin de semaine que l’UEFA doit annoncer les premières sanctions fondées sur l’entrée en vigueur du fair-play financier cher à Michel Platini. Malgré tout, les mois passent mais le brouillard persiste sur son champ d’application, sa motivation, sa finalité, son avenir… Alors que ces mesures devaient permettre de rétablir la cohérence sportive, il semble que l’on se dirige vers un corpus normatif inefficacement inique.
Un objectif louable
L’endettement actuel du football européen avoisine les 10 milliards d'euros, dont plus de la moitié représente des emprunts bancaires. Il en va de sa pérennité de freiner la croissance de cet endettement qui pourrait conduire, en cas d’éclatement de la bulle spéculative du football (transfert de Gareth Bale, droits de retransmission anglais), à un séisme aux conséquences médiatiques bien pires que celles de la crise des subprimes en 2008.
Par ailleurs, les inégalités entre grands clubs et clubs de second rang ne cessent de croître, conduisant certains historiques à abandonner tout rêve de maintien au sommet (Glasgow Rangers ou Ajax Amsterdam à l’échelle européenne, RC Strasbourg ou Le Havre AC à l’échelle nationale). Comme en Top 14 de rugby, les espoirs sportifs des équipes tiennent désormais davantage aux considérations économiques de leur bassin géographique et de leur propriétaire qu’à leur historique légitimité sportive.
Un fair-play financier, dont le double objectif est de pérenniser le football européen et de faire de sa richesse un élément d’universalité et non d’exclusion, ne peut donc que séduire.
Un champ d’application étrange
Malheureusement, tout n’est pas si simple et la brume qui entoure cette chimère semble n’accoucher que d’étranges décisions. Oubliant ses objectifs déclarés, le fair-play financier semble au contraire faire fi de la dette historique et protéger les présents contre la puissance nouvelle des entrants.
Pour en revenir au PSG, il est savoureux de constater qu’il a été unilatéralement décidé par l’UEFA que son contrat de sponsoring avec Qatar Tourism Authority devait être dévalorisé de moitié. Sans la moindre justification. Ce qui ne surprendra personne puisqu’il s’agit d’un contrat innovant et hors marché, donc dépourvu d’étalon référent. Paradoxalement, le fair-play financier bénéficie au contrat entre QTA et le PSG dès lors que la polémique l’entourant n’a d’autre effet que d’en augmenter la valeur et la crédibilité. En effet, un contrat d’image a pour finalité de faire connaître la partie qui en est à l’initiative. L’UEFA et le Bayern Munich offrent ainsi à QTA sa plus grande exposition médiatique.
L’absence de justification sur la contestation de la valeur du contrat de sponsoring du PSG interpelle d’autant plus que les contrats de sponsoring actuellement en vigueur traduisent une forte tendance inflationniste et peuvent servir de base de comparaison. Bien que l'UEFA ne se préoccupe pas de la valeur d'un contrat lorsqu'il est passé entre deux parties non liées, la comparaison entre l'accord QTA/PSG et les principaux contrats de sponsoring d'autres grands clubs reste pertinente. Ces derniers ne sont-ils pas, eux aussi, surévalués?
L'inflationnisme comme norme
Manchester United a conclu pour huit et sept ans des contrats de 211 millions d'euros pour rebaptiser son centre d’entraînement et de 424 millions pour sponsoriser le maillot. Le naming du stade de Manchester City est chiffré à 491 millions d'euros pour dix saisons, celui d’Arsenal à 175 millions pour cinq saisons. Quant au FC Barcelone, il a conclu un partenariat avec Qatar Airways et la Fondation du Qatar pour 330 millions d'euros sur cinq saisons. Des recettes de sponsoring tout aussi impressionnantes et hors marché que celles annoncées pour le PSG.
Ajoutons, par ailleurs, que ces clubs bénéficient de recettes de droits de retransmission télévisuelle sans commune mesure avec les montants français dont la répartition, notamment en Espagne, est très inégalitaire. Un promu anglais dispose ainsi d’enveloppes de transfert supérieures à celles de l’Olympique Lyonnais ou de l’AC Milan. Par ailleurs, certaines dépenses semblent échapper au radar de l’UEFA: le Zénit Saint-Pétersbourg s’est par exemple vu offrir un stade neuf de 65.000 places par Gazprom (quand on sait combien cela a amputé les dépenses sportives d’Arsenal ou de l’Olympique lyonnais).
En outre, la situation géographique, consubstantielle des clubs, crée une injustice qui ne souffre d’aucun remède. Un club parisien seul dans le plus grand bassin démographique et économique d’Europe, autour de la ville la plus touristique du monde, bénéficie d’un avantage structurel inaltérable.
Les inégalités verrouillées
Par sa mise en œuvre, le fair-play financier contredit ses deux finalités. Alors qu’il vise à combattre l’endettement, il sanctionne les investissements (hors dépenses déterminantes comme les infrastructures) et apports de fonds, mais ne s’attaque pas à la dette structurelle qui met en danger le football européen. Concrètement, alors qu’il était l’instrument attendu pour lutter contre la dette, il la valide en creux. Comment en est-on arrivé à un fair-play financier qui sanctionne les recettes couvrant les dépenses mais valide les dépenses assises sur la dette? In fine, on valide une dette mal investie qui détruit de la valeur, mais on interdit les investissements aux vertus exogènes positives. En effet, la dette enrichit les banques et appauvrit les clubs débiteurs d’intérêts financiers alors que les investissements des mécènes valorisent les droits de retransmission redistribués et enrichissent le football européen, ses clubs les moins riches (Pescara-Verratti, Palerme-Pastore/Sirigu, Hambourg-Kompany) et le contribuable.
De même, alors que fair-play financier est censé instaurer davantage d’égalité sportive, il conforte la rente de situation des gros clubs actuels. En validant leur dette et en interdisant aux entrants d’investir massivement (même avec un business plan à moyen terme), il ferme le marché. Un cas topique de pratiques anticoncurrentielles où les présents peuvent cumuler deux milliards de dette mais un postulant ne peut acheter un ticket d’entrée à 200 millions d'euros.
Le fair-play financier et son panel répressif sont si opaques que sont évoquées, sans fondement textuel ni indice de fiabilité, des sanctions grotesques et inefficientes. Les amendes n’affectent en effet pas un acteur économique aux fonds illimités. Le reste ne ressemble qu’à un indécent bricolage sans la moindre cohérence. Si les informations relayées par Le Parisien et L’Equipe dans leurs éditions du 6 mai 2014 se confirment, comment justifier l’autorisation de recruter un joueur à 60 millions d'euros mais d’interdire de recruter cinq joueurs à 12 millions? Si ce n’est que les seuls clubs dont les joueurs valent 60 millions d'euros sont ceux... déjà présents au sommet du marché.
Business is business ?
Traditionnellement, il est deux méthodes permettant d’ajouter à l’ordonnancement juridique des normes à finalité inavouable. Soit la méthode "pas vu, pas pris" du cavalier législatif (comme pour les interdictions administratives de stade), soit la méthode de l’illusionniste (ou comment faire d’un suppositoire une sucette en l’enrobant de sucre). Que ce soit pour l’article 100 des règlements administratifs de la LFP en matière de domiciliation sportive ou pour le fair-play financier, c’est la seconde méthode qui a été choisie: justifier une innovation textuelle par l’introduction de davantage d’équité sportive. Le règlement au service, pêle-mêle, de l’égalité, de la morale sportive ou de la justice. Qui peut dénier à l’UEFA son grand cœur et son humanité?
La LFP a créé un règlement à la seule destination de Monaco sur l’autel de l’égalité fiscale entre les clubs. Pourtant, elle a aussitôt accepté d’y renoncer contre le paiement d’un droit de ne pas respecter les règles... puis a, sans vergogne, remodifié l’ordonnancement juridique après avoir arrondi ses fins de mois. En l’occurrence, le fair-play financier de l’UEFA, qui n’a aucun effet positif dans la lutte contre la dette ou en faveur d’un plus grand accès de nouveaux clubs au sommet, n’est rien d’autre qu’un prétexte fallacieux pour faire payer, non pas les plus grands "tricheurs" mais les plus grands payeurs. Sanctionner d’une amende un club dont le propriétaire n’a pas de limite financière n’a d’autre sens qu’enrichir l’UEFA et instaurer un péage: acheter le droit de transgresser les règles, en quelque sorte, comme on achète ou l’on s’échange des droits de polluer depuis le Protocole de Kyoto. Les idéaux d’équité ou de morale sportives deviennent donc des biens de marchés destinés à enrichir les présents.
Un fair-play financier qui ne touche que les clubs qui ont des fonds illimités, qui ont des comptes équilibrés et qui n’ont pas encore la légitimité historique ou la force de frappe populaire d’un Real Madrid ou d’un FC Barcelone, a-t-il vraiment pour objet d’assurer la bonne gestion des clubs et leur pérennité? À ce rythme, mieux vaut être endetté et n’avoir pas de DNCG que vouloir investir tout en préservant l’équilibre de ses comptes.
http://www.cahiersdufootball.net/article-i...-financier-5266Au regard de la presse de ce matin, les sanctions semblent se confirmer.