Ligue des champions : « Ni parisien, ni rien », par Jean-Jacques Vanier
Je vais
vous faire un aveu : je ne suis jamais allé au stade
voir courir des sportifs, je n’ai jamais suivi aucun championnat, je ne me suis jamais senti supporteur d’un club, et quand les résultats étaient annoncés le dimanche soir je les recevais comme on lit du Perec. Ainsi, Brive allait s’imposer à Marmande, Sochaux obtenait le nul dans les arrêts de jeu, un panier de Tassin privait Limoges du
titre, et le Petit Poucet dévoreur d’ogres imposait sa loi à
Marseille.
Sans club attitré, paré pour le
voyage, je me laissais
guider et les mots m’emportaient vers d’improbables contrées sportives, terra incognita. Sans attaches précises, j’embarquais pour ces
villes étrangères espérant un éden où
plonger des racines. Pour vous
dire quel fut mon choc quand, il y a un an, l’un de mes enfants me déclara avec la même poésie barbare :
« Ça va être chaud cette semaine, on se déplace à Barcelone mardi.–
Tu vas à Barcelone, tiens donc ! Je n’étais pas au courant. C’est organisé par le lycée ? La Sainte-Famille, Gaudi, vous allez vous régaler. »J’ai fait comme si je n’avais pas saisi mais tout mon être avait capté le dévastateur, l’irrémédiable
« on ».
« Je ne vais pas à Barcelone, papa. On affronte le Barça en quarts.–
“On” ? Ne me dis pas que tu dis “on” pour le Paris-Saint-Germain. Ils vont. Le Paris-Saint-Germain va. Mais “on” va : non ! Jamais de la vie : toi, tu ne vas nulle part, c’est eux qui y vont, pas toi. Flûte ! N’insiste pas, parce que c’est dans ta chambre que tu vas aller. “On se déplace à Barcelone”… Je rêve ! Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ? J’ai un fils supporteur du PSG.
–
Mais, papa, c’est mon club. En plus, on va être quatre fois champions : la Coupe, la Ligue, le championnat et…– Il suffit ! Je t’interdis, je t’enferme à la cave six mois à l’eau et au pain sec. Ce n’est pas ton club. Tes origines sont bretonnes. Ton club c’est Guingamp, c’est Rennes si tu préfères, c’est Lorient à la limite, c’est même Nantes si tu veux. Oui, Nantes est bretonne. Si !…
Quoi ? Il y a bien des Bretons à Paris. Eh bien, il y a une Bretonne en Loire-Atlantique, c’est comme ça.– Papa, arrête le délire, je suis né à Paris ; tu es breton, je suis parisien, tu es au courant. »Faire ça à son père ! Je l’ai nourri à la galette jambon-œuf-fromage depuis qu’il a des dents, je l’ai bercé avec du Gilles Servat. Supporteur du PSG, je ne le supporterai pas.
« C’est mon club ! Avoir un club, c’est être de quelque part. Avoir des racines. Tu comprends, papa, mes racines c’est le bitume, c’est Bastille, c’est Paname.– Ce n’est pas ton club. Non ! »Mais, papa… Pendard… Mais enfin… Coquin… Ecoutez-
moi… Je te rosserai de la belle manière… Mais je vous dis… Je te baillerai sur le nez… Ecoutez… Plus un mot… Un instant… Hors de ma vue, Parigot. Tu n’es plus mon fils. Nenni.
« Mais regarde-toi, papa. C’est quoi tes racines ? T’as même pas un club préféré. Si un homme qui n’a pas de travail n’est personne, un homme qui n’a pas de club n’est pas un homme, il n’est rien. T’as rien. T’es ni parisien ni rien. T’es rien.– Fiche-moi le camp dans ta chambre. Fumier !– Peut-être mais on est quatre fois champions. Champions de France, on a la coupe de France, on a la coupe de….– Oh, ça va ! »