L'OM et la Mafia: Des liaisons dangeureuses...
Ici, le patron du club rend des comptes à un pilier du milieu marseillais. Là, des agents de joueurs font régner la terreur et des supporters multiplient les petits trafics à lombre du Vélodrome. On lève le voile sur un folklore inquiétant
Revenons quelques années en arrière, et rappelez-vous que les fantômes d'hier sont les démons de demain ! Castella Stéphane.
"Coup de pression dans les vestiaires. Le 7 novembre dernier, lOlympique de Marseille vient dêtre défait au Parc des Princes, chez lennemi de toujours. Deux buts à un pour le PSG. Christophe Bouchet, qui na pas encore déserté son fauteuil de président de lOM, est furieux. Il rassemble ses joueurs. Tourangeau de naissance, Parisien de culture, Bouchet se lance dans un numéro de «cacou» marseillais. Il sen prend au défenseur Abdoulaye Meité.
«Moi, je fais mon boulot quinze heures par jour, séchauffe Bouchet. Toi, Abdou, tu pourrais faire le tien!»
Le géant noir, qui officie à lOM depuis cinq ans, a été le meilleur joueur olympien sur le terrain. Mais il a fait une bourde. Une seule. Celle qui a amené le but victorieux de Paris. Le joueur est à cran. Sa réplique fuse:
«Laissez-moi tranquille, président, sinon mon patron va venir vous tirer les oreilles!» Le «patron» dont parle Meité, cest son agent: un certain Jean-Luc Baresi. Un nom qui fait peur à Marseille. Et pas seulement aux managers du club.
A lEvêché, le commissariat central de la ville, on connaît bien le clan Baresi, qui règne, selon la police, sur les machines à sous de la région. Mais les preuves manquent. Bien sûr, les frères cadets de lagent, Franck et Bernard, sont connus comme dauthentiques braqueurs, fichés comme tels au grand banditisme. Et Jean-Luc, le chef de famille, a lui aussi connu la prison. Cétait en 2002: un an de préventive, derrière les barreaux de la maison darrêt de Luynes, pour une sombre affaire de racket et de disparition sur le port, toujours pas élucidée. Mais à 44 ans, lagent du joueur, qui nie toute implication dans cette bouillabaisse mafieuse, na jamais été condamné. Lancien mauvais garçon du quartier Saint-Antoine donne dans le respectable. Depuis quatre ans, il est manager de footballeur, dûment agréé par les instances nationales. Et avant? «Jai toujours été proche de lOM», se contente-t-il de répondre, sans détailler plus avant son curriculum.
A lOM, Baresi sest fait une spécialité: le transfert des bannis du «loft», ces joueurs tombés en disgrâce. Il na pas son pareil pour convaincre les dirigeants de lOM de les libérer sans exiger trop dindemnités. Baresi dispose également dun monopole de fait sur les minots les plus prometteurs, fraîchement sortis du centre de formation, comme Samir Nasri (17 ans) ou Ahmed Yahiaoui (18 ans). Il les prend en main, les protège de la convoitise des autres agents, négocie leur premier contrat pro et empoche les commissions. A la Commanderie, le centre dentraînement de lOM, Baresi se sent tellement chez lui que, lorsquil est noué davoir trop travaillé, il se fait masser par le kiné du club, dans le vestiaire. Et même avec les joueurs, à la grande stupéfaction des dernières recrues, peu au fait des coutumes locales.
Normalement, Baresi ne répond pas aux questions des journalistes. Ou alors seulement après les avoir menacés, au préalable, dun procès. A Marseille, on ne parle pas dintimidation. Juste dambiance locale. Certains sen émeuvent. «Début 2002, javais publiquement engagé tous les agents de joueurs de France à venir travailler avec le club, qui cherchait à transférer une trentaine de joueurs, témoigne par exemple lancien magistrat Etienne Ceccaldi, ex-directeur général de lOM. Un seul sest manifesté. Les autres agents sollicités craignaient lentourage particulier du club.» Et de désigner, à mots couverts, Jean-Luc Baresi comme le principal fauteur de troubles. «Nimporte quoi, semporte aujourdhui lintéressé. A lOM, il ny a pas dhistoires de voyous. Juste des histoires dhommes.» observe, préoccupé, un haut responsable policier. Mais on en est réduit à suivre cela en spectateur en attendant une faille pour agir.» Au bord de la belle bleue, la vie dun club se lit en effet aussi bien en pages sportives que dans la rubrique des faits divers.
A Bastia, une enquête judiciaire visant le leader nationaliste Charles Pieri vient de mettre au jour le rôle de la pègre indépendantiste dans la gestion du club local. Ajaccio, lautre club corse de Ligue 1, est entraîné par un miraculé: Rolland Courbis. En 1996, ce dernier prenait un projectile de 9 mm en plein abdomen. Une balle perdue destinée à son ami Dominique Rutily, assassiné ce jour-là à la sortie dun match de foot sur le continent. Membre influent de la Brise de Mer, le gang mythique du grand banditisme corse, Rutily projetait alors de mettre la main sur
un autre club de la Côte: lOGC Nice. Quant aux voisins de lAS Monaco
Un club bien comme il faut? Peut-être. Mais qui a bien failli accueillir dans son capital, il y a deux ans, un paravent de la mafia russe! Il a fallu lintervention des Renseignements généraux pour que le Palais ouvre enfin les yeux et fasse capoter le projet. Alors pourquoi lOlympique de Marseille serait-il épargné? «Nommez le pape à la tête de lOM un matin, vous le retrouverez tout noir le soir même», ironise un grand flic initié aux coulisses du club. Sur la Canebière aussi, on célèbre lalliance du flingue et du ballon rond.
Avril 2002, un jet privé atterrit à laéroport de Cannes. Le milliardaire Robert Louis-Dreyfus en sort. Propriétaire de lOM, dans lequel il affirme avoir injecté près de 150 millions deuros en neuf ans, RLD, comme on le surnomme, monte dans une berline conduite par un ancien directeur sportif du club, licencié un an plus tôt: un certain Jean-Christophe Cano. Les deux hommes prennent la direction de Simiane-Collongues, dans larrière-pays dAix, et sengouffrent dans une villa claquemurée comme une forteresse. Pour ses voisins, le maître des lieux est un paisible retraité. Tellement discret, même, quil ne sort jamais de chez lui. Trop risqué. Même avec un gilet pare-balles, comme celui qui lui sauva la vie, le 21 avril 1978, lorsquil tomba avec son frère dans un guet-apens tendu par les hommes du clan Zampa.
A 73 ans, Roland Cassone na plus de frère, mais reste une légende du grand banditisme. Ancien lieutenant de Jacky le Mat, il est lun des rares rescapés de la guerre des gangs. A lEvêché, on le présente comme le pilier du milieu marseillais. Depuis lassassinat de Francis le Belge, il y a quatre ans, et lincarcération de son beau-frère, Tony Cossu, pour trafic dhéroïne, les affaires de Cassone tournent, selon la police, à plein régime. Lhomme est prospère, intelligent. Mais la joue profil bas. «Il ne se montre jamais. On narrive même pas à obtenir une photo récente de lui», se lamente un vétéran de la brigade de répression du banditisme (BRB).
Que vient faire un fils de famille comme Robert Louis-Dreyfus chez un caïd comme Cassone? «Jean-Christophe Cano ma présenté Roland Cassone, que je ne connaissais pas, comme un membre influent dune des associations de supporters du club, détaille Robert Louis-Dreyfus au "Nouvel Observateur", confirmant le rendez-vous secret. A lépoque, nos mauvais résultats sportifs avaient enflammé les supporters et Cano pensait que ce rendez-vous permettrait dexpliquer la politique du club et dapaiser le climat», précise le propriétaire de lOM. Le successeur présumé du Belge téléguidant depuis sa villa retirée les supporters du Vélodrome et sommant le propriétaire de lOM de venir sexpliquer sur la gestion du club: ce nest plus du folklore mais carrément du polar! Que se sont dit les deux hommes? Robert Louis-Dreyfus nen dira pas plus. Mais quelques semaines après la rencontre, la direction de lOM retirait une plainte pénale visant
Jean-Christophe Cano, lorganisateur de lentrevue de Simiane. Lorsquil dirigeait la politique sportive du club, ce dernier avait en effet lhabitude de passer des accords avec une poignée dagents marrons. Ces intermédiaires nhésitaient pas à réclamer des honoraires pour des transferts de joueurs dans lesquels ils nétaient même pas intervenus. Lancien magistrat Etienne Ceccaldi, alors directeur général de lOM, avait porté laffaire en justice. Sans succès donc. «Le dossier ne tenait pas la route», assurent aujourdhui en cheur le parquet de Marseille et lactuelle direction de lOM.
Blanc comme neige, Cano, lami de Cassone, a ensuite tenté de mettre la main sur un autre club de la Côte, lOGC Nice, en compagnie de deux associés. Deux fils à papa, aux pedigrees particuliers. Robert Cassone, le fils de Roland, et François Mouret, rejeton de Roger le Gitan, un ancien de la bande dite des «Italo-Grenoblois». Las, faute davoir pu réunir les financements nécessaires, le trio ne tiendra que quelques mois à la tête du club niçois
Quest-ce qui explique cette attirance pour les vestiaires de football? Pas seulement lamour du ballon rond. Avec son ballet de grands joueurs, qui font et défont leurs valises à chaque mercato, un club comme lOlympique de Marseille est un jackpot. Pour qui? On ne sait pas toujours très bien. Seule certitude, lunité de compte est la centaine de milliers deuros. Dans ce gigantesque casino, le footballeur nest quune boule. Cest le croupier qui emporte la mise.
Fin juin 2001, Eduardo Tuzzio, joueur argentin de 27 ans, prend ses quartiers au Sofitel Vieux-Port, lhôtel des hôtes de marque de lOM. Un nid daigle de luxe surplombant la Canebière. Tuzzio a été déniché par Bernard Tapie, alors «manager général bénévole» de lOM. Le joueur a tout de la bonne affaire. Désigné meilleur défenseur dArgentine, il est libre de tout contrat, ce qui signifie pour lOM quil ny aura pas donéreux transfert à payer. Tuzzio réclame juste 1,5 million deuros de prime à la signature. Et son agent, un avocat argentin, 300 000 euros de commission. Le joueur et lOM signent un convention de transfert. Classique et parfaitement réglo. Mais simple. Trop simple. Trois jours plus tard, en effet, Tuzzio change subitement davis et préfère soudain sengager avec un lilliputien footballistique: le Servette de Genève. Bizarrement, lOM lui donne sa bénédiction et paie même de ses deniers le billet davion du joueur pour la Suisse. Cinq jours plus tard, nouveau rebondissement: le club phocéen se ravise. Et décide de racheter le joueur au club helvète! Mais, cette fois-ci, le prix ne fait plus sourire. LOM débourse en effet 6,5 millions deuros.
En quelques jours et un détour par la Suisse, la valeur du défenseur argentin, qui na alors pas encore joué un seul match en Europe, a augmenté de plus de 300%! Sans compter, les quelque 587 000 euros de commission que lOM a dû verser à lintermédiaire de la transaction, Gilbert Sau, un agent proche de Jean-Luc Baresi et de Bernard Tapie. Tenu informé depuis sa résidence de Caslano en Suisse un échange de fax latteste , Robert Louis-Dreyfus laisse faire.
Etonnant comment ce coq des affaires se fait plumer comme une vulgaire volaille de basse-cour dès quil sagit de ballon rond
RLD opte pour le paiement échelonné sur un an. Et commence à signer les ordres de virement. Il faudra attendre lété 2002 pour voir Christophe Bouchet, fraîchement arrivé à la tête du club, bloquer le dernier versement. Pendant un an, largent de lOM est régulièrement venu alimenter un compte ouvert au Crédit suisse à Genève. Pour le Servette? Non, le club na conservé quun petit million. Le reste? Evaporé. Un peu partout. Selon nos informations, lenquête du SRPJ de Marseille sinterroge sur un versement inexpliqué de 1,5 million deuros dont aurait bénéficié entre autres lex-international Franck Leboeuf lorsquil a signé à lOM.
Résumons: un vrai-faux transfert initié sous lère Tapie qui permet notamment de payer une prime à la principale recrue de lère Bouchet. A Marseille, les dirigeants passent, largent continue de couler à flots. Mais la direction du club ne souhaite pas sexprimer sur ce sujet sensible. Plus étonnant, le dossier Tuzzio semble même brûler les mains de la justice locale. Le parquet de Marseille se creuse les méninges.
Qui va-t-il renvoyer devant le tribunal dans cette affaire? Les intermédiaires, les dirigeants, certains joueurs? La réponse doit tomber en ce début dannée. «Mais on ne peut pas prendre le risque de mettre le feu à la Canebière», prévient déjà un haut magistrat.
Quand il sagit de lOM, la justice marseillaise nest jamais aveugle. Avant de passer, elle regarde dabord devant, derrière, sur les côtés. Parfois, elle ne bouge même pas.
Comme il y a quatre ans, par exemple. Nous sommes en fin de journée, ce 31 juillet 2000. Frédéric Dobraje attend le bateau sur lembarcadère des îles des Embiez, au large de Toulon. Cet ancien gardien de but reconverti en agent de joueur vient disputer un tournoi de foot amical avec des copains. Un peu de détente après une bonne affaire. Quelques jours plus tôt en effet, Dobraje a conclu le transfert de linternational Robert Pires, de lOM au club londonien dArsenal pour 10 millions deuros. Une confortable commission dintermédiaire lattend. Quand soudain lagent est entouré de plusieurs gros bras bien informés. «Reverse-nous la moitié de ta com, sinon il va tarriver des bricoles», menacent-ils. Sûr de son fait, le chef de la bande décline son identité. Son nom force le respect. Non parce quil a effectué une modeste carrière de footballeur pro à Toulon. Mais parce quil sappelle François Vanverberghe. Le propre neveu du Belge!
«Je ne travaille pas dans le foot pour côtoyer ces gens-là», se dit Dobraje, qui attend prudemment dêtre rentré chez lui du côté de Besançon, pour porter plainte. LEvêché hérite de laffaire, lagent menacé est entendu par les policiers, puis par un juge dinstruction. Vanverberghe aussi. Mais le neveu nest pas aussi coriace que son oncle. En garde à vue, il se met à table. Et donne des noms de commanditaires. Il balance deux agents de joueurs très proches de lOM
Las. Ces derniers ne comparaîtront pourtant jamais devant la justice. Car, trois mois plus tard, François Vanverberghe et son cousin, un truand fiché, sont abattus comme des chiens par plusieurs balles de fusils-mitrailleurs alors quils circulent à moto sur une petite départementale au nord de Marseille
Le principal suspect six pieds sous terre, laffaire est enterrée.
On comprend mieux pourquoi les agents ne se bousculent pas pour travailler avec lOM. Résultat: le juteux business des transferts est réservé à une poignée dintermédiaires bien introduits et sûrs de pouvoir travailler en toute sérénité. Les recrues de lété dernier ny ont pas échappé. Lex-Sochalien Benoît Pedretti a ainsi confié ses intérêts à Jean-Pierre Bernès, lancienne âme damnée de Tapie, impliqué dans laffaire OM-VA. Les attaquants Habib Bamogo et Peggy Luyndula, eux, ont choisi dêtre conseillés par lincontournable Pape Diouf, avant que celui-ci ne troque son maillot dagent pour celui de directeur sportif de lOM cet été. Quant aux anciennes vedettes du PSG Frédéric Dehu et Fabrice Fiorèse, ils sont curieusement passés par un agent serbe, connu pour servir de prête-nom à un intermédiaire louche très actif sur la Côte. Comme sil fallait bénéficier de la protection dun agent au parfum local pour jouer à lOM. Lex-défenseur vedette des Bleus, Bixente Lizarazu, avait, lui, innové lété dernier. Se passant de son conseiller de toujours, un avocat bordelais, il a signé seul un contrat de 105 000 euros mensuels. Mais après cinq mois de chaos au Vélodrome, Liza vient de refaire ses bagages. Direction lAllemagne, le Bayern de Munich, lordre et la rigueur quoi!
Source:
Olivier Toscer
Le Nouvel Observateur