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PSG-OM : José Anigo, l'énigme
Le dirigeant marseillais vit une période délicate. Portrait d'un directeur sportif à l'image guère flatteuse
Dresser un portrait du directeur sportif de l'OM s'avère être un exercice périlleux. Un sujet sensible.
- "Quel style ?", répondent, pour la plupart, les nombreux interlocuteurs sollicités.
- "Le plus juste possible, sur son parcours au club, sa méthode, son image."
Aucun n'a voulu être cité, sauf Jean-Claude Dassier, l'ex-dirigeant, et Vincent Labrune, le président. Est-ce dû à son actualité extra-sportive ? Nul ne le sait, mais beaucoup ont accepté de témoigner, de raconter et de partager leurs expériences à son contact. À six jours de la publication, un employé de l'OM est venu à la pêche : "Vous travaillez sur le volet judiciaire ?"
Marseille est un village, au sein duquel José Anigo ne laisse pas indifférent. Capable tout à la fois de séduire, de subjuguer, de repousser et d'inquiéter, le Marseillais de 51 ans, dont 27 à l'OM (1976-1987, 1997-2013), reste encore une énigme.
Une ascension fulgurante
Technicien reconnu qui, pour l'anecdote, a passé ses diplômes avec Didier Deschamps, il fut champion de France avec la réserve olympienne (CFA), entraîneur intérimaire après le départ de Tomislav Ivic, puis directeur du centre de formation. Avant de remplacer, en janvier 2004, Alain Perrin aux commandes de l'OM et d'atteindre la finale de la coupe UEFA avec Didier Drogba.
Un an et demi plus tard, il devenait directeur sportif du plus fada des clubs français. "Quand il est revenu, en 1997, il était brancardier, rappelle un habitué des lieux. Il était là comme éducateur bénévole et s'occupait des benjamins. José est parti de tout en bas. Ensuite, il a eu tendance à se faire copain avec les uns et les autres. Mais c'était pour mieux leur marcher sur la tête."
Depuis sa nomination, José Anigo est devenu un homme clé de l'OM. Son principal fait d'arme reste d'avoir déniché Mathieu Valbuena à Libourne. Apprécié des joueurs, avec lesquels il use de sa proximité, il jouit d'une aura de protecteur dans le vestiaire. À la limite d'inspirer la crainte chez certains, d'impressionner.
La question brûle toutes les lèvres depuis tant d'années : les joueurs défilent, les présidents se succèdent et les entraîneurs valsent. José Anigo demeure. Même quand il a tenu tête à Bernard Tapie,en 2001.
En public, Labrune insiste régulièrement sur le caractère "indispensable" de l'ex-Endoumois (7e) qui a donné son nom à un stade, du côté de Consolat (15e)."Il connaît parfaitement le club et son environnement, justifie le président olympien. C'est très important pour l'actionnaire et pour moi, qui ne sommes pas de Marseille. Après, il aime l'OM et personne ne peut le lui enlever. C'est le premier arrivé au bureau et le dernier parti, il a une énorme capacité de travail. C'est un rouage essentiel de la machine qui, faut-il le rappeler, n'est pas une entreprise comme les autres."
Au fil du temps, l'enfant des quartiers Nord, postérisé avec les Minots de l'OM, a quand même développé une réputation sulfureuse, une image guère flatteuse. Malgré lui. À cause de lui, aussi. Anigo la cultive tout autant qu'il la réfute. En dépit d'un casier judiciaire immaculé, son patronyme est souillé et il se retrouve souvent dans la tourmente. "Je n'ai jamais eu à me plaindre de notre collaboration, souligne Dassier. Je continue d'ailleurs d'avoir des relations amicales avec lui. Quand il est dans les ennuis, il me passe un petit coup de fil et l'inverse est vrai aussi."
"Marseille mange ses enfants", se plaît-il à répéter dans la presse nationale pour éteindre l'incendie.
Un directeur sportif tout puissant
La saison passée, il a tout noté durant sa mise à l'écart ; à son retour, les membres du staff qui avaient eu l'audace de conserver des rapports cordiaux avec Didier Deschamps ont dû se justifier. Un d'entre eux a eu le tort de boire un verre avec le champion du monde. "Tu es avec lui ou avec moi ?", lui a alors lancé le directeur sportif, qui aime s'entourer de fidèles en qui il peut avoir confiance, quitte à les malmener.
Et il est rancunier. Il a, par exemple, très mal vécu de voir Michel Chatron, pourtant ami de la première heure, rester auprès de l'équipe professionnelle quand lui était au placard durant les six premiers mois de l'année 2012. Il aura fallu l'intervention de Labrune, durant l'été, pour que l'intendant conserve sa place. "Au sein du club, on ne peut être que pro ou anti-Anigo, il n'y a pas de demi-mesure", résume une source interne. Lui rétorque qu'il faut être "pro-OM".
L'ambivalence de l'homme
Au centre RLD, comme au stade Vélodrome, il est désormais incontournable. Tout passe par lui. "Il veut tout contrôler et suit un raisonnement binaire, renchérit un autre témoin. Sa politique, c'est diviser pour mieux régner." L'homme est pourtant ouvert, à l'écoute des autres.
Avec lui, on peut discuter de tout, feuilleter sa découverte de New York ou ses périples africains. Il affiche même un côté charmeur sous ses allures de colosse. Il possède aussi de solides connaissances sur le football en général. "Mais il se crispe dès qu'on lui parle de l'OM, il se sent attaqué, même si on ne dit rien de mal, glisse un ancien cadre. Le personnage devient alors complètement différent de celui qu'il est dans la vie de tous les jours. Il a deux facettes."
Parole et trahison
L'OM rend fou, entend-on souvent. Dans le cas d'Anigo, les deux lettres semblent aussi provoquer une certaine forme d'amnésie. Son incroyable volte-face de juin 2009 a ainsi fait apparaître un côté opportuniste.
Flash-back : les relations entre Pape Diouf, alors président, et Vincent Labrune, à la tête du conseil de surveillance, s'enveniment. Le 15 juin, José Anigo défend son camp dans nos colonnes. "Si Pape doit partir pour "x" raisons, une chose est sûre : je me mettrai dans ses valises", clame-t-il.
Une tirade sans équivoque. Le 17 juin au soir, le divorce entre Pape Diouf et l'OM est prononcé. Le désormais ex-président rentre de Zurich, où il a rencontré un Robert Louis-Dreyfus très affaibli par la maladie, et s'enferme durant plusieurs heures dans son bureau de La Commanderie aux côtés de Julien Fournier, secrétaire général, Nathalie Paoli, responsable de la communication, et José Anigo.
Très en colère, le directeur sportif tient à ce moment-là des propos particulièrement durs à l'encontre de l'actionnaire et ses représentants. Il ne fait alors aucun doute qu'il va, lui aussi, quitter ses fonctions dans les heures suivantes.
Le lendemain, son discours a pourtant changé radicalement et ce n'est plus le même homme qui doit accompagner Diouf et Fournier à Paris. Durant la nuit, il s'est entretenu avec Labrune par téléphone. Son salaire sera doublé (de 25 000 à 60 000 euros) et son contrat passera à durée indéterminée...
Et les Médias ?
Le flou a régné, à la fin de l'été 2009, notamment quand Dominique Grimault a pris la tête de la direction des médias. Arrivé de Paris, ce dernier comptait s'appuyer sur un journaliste marseillais, suiveur de l'actualité olympienne depuis de nombreuses années. Il avait même dévoilé son nom en conférence de presse de rentrée d'OMtv. Apprenant ça, José Anigo s'est mis dans une colère noire : "C'est lui ou moi", a-t-il menacé.
Le journaliste n'a donc jamais figuré dans l'organigramme du club. Sa relation aux médias est basée sur une sorte d'attraction-répulsion, parfois teintée d'intimidation. Il accorde très peu d'interviews - même s'il manie le off - et sait choisir ceux qui peuvent être "gentils". Comme beaucoup, ceci dit.
Spécialiste ès supporters ?
La contestation existe et s'amplifie alors que les relations avec les groupes sont du ressort d'Anigo. Il fait tout pour la réprimer. À Nîmes et à Carouge (Suisse), cet été, une frange de supporters réclamait son départ. La semaine dernière, une banderole "Anigo casse-toi" a fleuri dans le virage Nord du Vélodrome. Inédit, fût-ce pour 49 secondes. Illico presto, le capo des Yankees et les stadiers sont intervenus, et le président de l'association a été prié de se pointer au stade sur le champ.
S'il conserve des appuis dans les virages, son influence n'est plus aussi nette. "À sa prise de fonction, il n'assistait pas ou très peu aux réunions avec les groupes de supporters, raconte un observateur. Aujourd'hui encore, il y participe de manière occasionnelle. Mais à l'époque, déjà, il avait laissé entendre (à la direction de l'OM) qu'il était là s'il fallait de l'aide, qu'il connaissait Untel et que, soi-disant, ce dernier les tenait. Peu importe que ce soit vrai ou faux, mais il en jouait et en joue toujours."
"C'est surtout Hervé Chalchitis et Guy Cazadamont (responsables de la sécurité, ndlr) qui s'en occupent. On me prête un rôle que je n'ai pas, ça fait partie du fantasme qui accompagne mon personnage", se défend-il.
Des amitiés plus qu'embarrassantes
La justice tourne autour de lui et de l'OM. Sur d'éventuels liens avec le grand banditisme et de possibles malversations, comme révélé dans nos colonnes l'été dernier. En début d'année, les perquisitions menées au centre d'entraînement, ainsi que les écoutes révélées par nos confrères du Parisien, ont apporté de l'eau au moulin de ses détracteurs. Dans L'Équipe, Anigo assurait de son côté être "plus que serein".
Si ces fragments ne prouvent rien, ils éclairent sur ses méthodes. "Ça pue autour de José", consentait même un de ses proches à ce moment-là. Dans le même temps, le club olympien a fait savoir qu'il allait se constituer partie civile. Et, depuis quelques jours, Anigo a changé de numéro et ne le donne plus.
Une source policière haut placée livre un éclairage sur ses relations : "J'ai vu et entendu son nom cité par le gratin de la voyoucratie marseillaise, à plusieurs reprises. Il est en contact permanent avec eux. Lui n'en est pas un, mais il est clairement sous influence. Entre eux, ils le surnomment "Boule de neige". Il a compris le fonctionnement du club, et il sait comment embobiner les dirigeants quand ils arrivent de Paris à Marseille, avec tout ce que cela comporte comme clichés. Ils s'en remettent à lui. Et lui arrive à se rendre indispensable."
"JA" ne nie pas connaître certaines figures du milieu et ne renie rien. "Je connais mes limites", dit-il. Parmi eux, Richard Deruda, son ami d'enfance fiché au grand banditisme, pour lequel il passe un temps fou à placer son fils, Thomas, dans divers clubs, dont l'OM ou Arles-Avignon, notamment avec le concours de Rolland Courbis et Laurent Paganelli.
Il ajoute souvent, dans un sourire, qu'il côtoie aussi des avocats ou des médecins, mais que ça n'intéresse personne. "Il a une image négative, inspire la peur et cristallise les soi-disant mauvais côtés de Marseille. Mais c'est son fonds de commerce, analyse un amoureux de l'OM, qui a passé de longues années au club. Il se place en garant des valeurs marseillaises, mais il ne les représente même pas, pas plus que la ville. 'Je suis le paravent. Si je ne suis pas là, vous aurez d'autres problèmes à régler': c'est ce qu'il a fait comprendre à certains dirigeants pour les effrayer. Il se sert de ça pour avancer. Je suis persuadé qu'il ne mange pas sur les transferts, comme on l'entend. En revanche, qu'il soit la porte d'entrée pour permettre à certaines personnes d'intervenir..."
Alexandre Jacquin et Jean-Claude Leblois (avec Sébastien Aumage)
Laprovence.com
La Provence qui ose faire un portrait de José "boule de neige" Anigo, c'est le début de la fin.