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L’OM et la Ligue 1 à l’heure de la bricole
Par Mathieu Grégoire — 11 décembre 2015 à 19:26
Les clubs français, largués sur les plans sportif et économique par le PSG, rêvent de revendre des joueurs à des clubs de l’élite européenne.
L’OM et la Ligue 1 à l’heure de la bricole
C’est un jeu simple, que les supporteurs marseillais peuvent pratiquer avec un simple crayon et un peu d’imagination. Il s’agit de se projeter l’été prochain, de prendre l’effectif de l’OM et de rayer les joueurs qui ne seront plus là dans quelques mois. Entre les fins de contrat (Mandanda, Nkoulou, Romao), les multiples prêts (Isla, Lucas Silva, Manquillo…) ou les valeurs cotées à la bourse européenne appelées à partir sous d’autres cieux (Batshuayi, Diarra, Mendy), le fan rayera plus que les mentions inutiles. Et il devra s’inventer de nouvelles idoles, alors que l’été 2015 avait déjà vu l’exode d’une palanquée de titulaires majeurs (Ayew, Fanni, Gignac, Imbula, Morel, Payet, Thauvin). «Au printemps prochain, nous ressemblerons à une équipe NBA avant la draft, avec une grosse marge de "salary cap" [plafond salarial, ndlr]. Nous serons prêts à fondre sur des bons choix de draft», rétorque Vincent Labrune, quadra survolté et président de l’OM.
Aux fraises
Bon, en attendant de devenir les Golden State Warriors, il est contraint de «bricoler», un mot qu’on lui propose et qui convient parfaitement à la L1. Un championnat avec un prince qui se drape de vêtements sur mesure (le Paris-SG) et des débrouillards qui farfouillent dans les friperies. Cela donne un dauphin austère qui marque uniquement sur coups de pied arrêtés (Angers, on exagère à peine), des courtisans débraillés (Lyon, Monaco, Saint-Etienne, l’OM) et des récents champions de France aux fraises (Bordeaux, Lille). «Le niveau est inquiétant, soupire un ex-coach, avec une quinzaine d’années de L1 au compteur. On voit des joueurs qui tirent des équipes sur leur dos, alors qu’ils ont plutôt le niveau d’aimables porteurs d’eau.» L’appauvrissement n’est pas terminé : les clubs anglais fourbissent déjà leurs chéquiers pour les marchés d’hiver et d’été, et ils creuseront encore plus loin dans les effectifs hexagonaux, pépites de L2 comprises.
«Super consultant»
Revenons à nos amis marseillais, qui ont le mérite d’illustrer clairement cette époque de privations. «Oui, cette saison, et en attendant des recettes en hausse à partir de 2016 grâce aux droits télé, l’économique prime sur le sportif. Nous avons vécu un coup d’arrêt terrible en ne nous qualifiant pas pour la Ligue des champions la saison dernière, explique Labrune. Avec une qualification, nous aurions conservé beaucoup de cadres. Et avec la maturation du groupe, on se serait baladés cette saison en L1.» Il évoque un exercice de «transition» et prie pour qu’il ressemble à la dernière période étiquetée comme cela : «En 2012-2013, on termine seconds avec Elie Baup, on se fait pourrir par tout le monde parce qu’on gagne quinze matchs 1-0. Mais on peut repartir sur un cycle plus ambitieux.»
Bis repetita cette saison ? Après l’orgie de jeu et de pressing de l’ère Bielsa, le public repu ne se trompe pas : il reflue lentement d’un Vélodrome où l’OM n’a plus gagné un match de L1 depuis le 13 septembre. L’assistance flirtait avec les 60 000 personnes il y a quelques mois, elle stagne sous les 45 000 aujourd’hui. Michel, le coach, a souvent proposé une composition hétéroclite, une légion étrange, entre revenant XXL (Lassana Diarra), joueur en leasing (Lucas Silva, offert un an par le Real Madrid) et historiques se demandant parfois ce qu’ils font là (Mandanda et Nkoulou). De tous les garçons en prêt, seul le meneur Rémy Cabella (option d’achat à 8 millions d’euros) est certain d’être conservé. Le Chilien Mauricio Isla (7 millions) pourrait l’imiter. Pour le reste, Vincent Labrune a aperçu les limites du clinquant. Les vingt-cinquièmes joueurs du Real Madrid ou de la Juventus Turin (l’inégalable Paolo de Ceglie) ne le sont pas par hasard : la provenance ne fait pas le talent. Après quinze arrivées l’été dernier, le boss olympien prospecte encore cet hiver, et accueille souvent Nelio Lucas, le patron de Doyen Sports, dans son aréopage. «Je suis là pour aider l’OM et trouver des solutions», nous disait en septembre le trader portugais, qui se considère comme un «super consultant» pour Labrune et a déjà contribué à placer le coach et quelques joueurs de l’OM.
«Notre place est dans le haut du tableau, et nous revenons d’un début de saison catastrophique. Notre chance, c’est que la L1 soit ultra-serrée, appuie Labrune. Nous sommes en quête d’identité, et c’est normal, le coach n’a pas choisi totalement l’effectif, ça met du temps à se mettre en place. Collectivement, c’est vrai, ce n’est pas le Barça. Mais individuellement, on a du potentiel, vous connaissez beaucoup d’équipes qui trustent le trophée UNFP de joueur du mois avec des hommes différents ?» Diarra a été élu en septembre, Batshuayi en octobre. Mais Labrune oublie de préciser que les votes sont l’apanage des supporteurs et que le lobby lorientais pour soutenir l’attaquant Benjamin Moukandjo est moins puissant que le réservoir de voix des fans de l’OM.
Les deux top-players cités méritent qu’on s’y attarde. Le Belge Michy Batshuayi a été ravi à la concurrence à l’été 2014 sur une base simple : «Tu viens à Marseille, tu progresses, et tu pars dans le grand club de tes rêves.» Le président Labrune est déjà (faussement) résigné : «Ce n’est pas le projet de départ. Si je pouvais lui offrir 700 000 euros par an, je le ferais, mais c’est impossible. Si on va en Ligue des champions l’an prochain, et que Michy veut rester une saison de plus, ce serait avec plaisir…» Batshuayi a un horizon aussi démesuré que sa confiance en lui, et un peu de boulot. Dans un couloir de l’hôtel Radisson de Porto, Marc Wilmots, le sélectionneur de la Belgique, nous avait confié : « Michy a du potentiel, mais il doit prendre la mesure du rôle d’attaquant axial.» Wilmots ne passe rien à Batshuayi, il est d’une intransigeance étonnante. Cela pourra toujours servir au buteur de l’OM. Son club est une antichambre de l’élite, qui essaye de vendre des produits finis à l’étranger. Résultat : Thauvin, acheté 17 millions par Newcastle, et Imbula, 20 millions par Porto, sont remplaçants et souvent sermonnés dans leur nouveau club. Michy vaut 30 millions minimum, et il est prévenu qu’en 2015, le prix d’un transfert est vite balayé par la réalité sportive.
«Très respectueux»
Un de ses aînés à l’OM le sait bien. «Lassana Diarra est d’une lucidité et d’une intelligence rare, dit Vincent Labrune. Surtout, il a une vraie expertise sur les coulisses du football, il m’a posé mille questions pointues. Je n’ai jamais parlé autant avec un joueur pour le convaincre de venir. Il se préparait aux Etats-Unis, et on s’appelait chaque nuit entre minuit et 2-3 heures du matin.» Passé par Chelsea, Arsenal ou Madrid, le milieu aime les plans carrés, et il a obtenu en juin un précieux sésame à force d’insister : quelques minutes au téléphone avec Marcelo Bielsa, pourtant en vacances. Un exploit, le coach argentin ne voulant jamais s’impliquer dans les transferts.
Vincent Labrune : «Footballeur, c’est un métier, Lass a compris ce que beaucoup de jeunes joueurs n’ont pas compris. Allez le voir à l’entraînement, à la salle de musculation, et vous comprendrez.» On n’a pas le droit de s’y pointer, alors on a demandé l’avis de Florian Thauvin, qui l’a croisé à la Commanderie : «Lass, c’est un grand monsieur, avec beaucoup de valeurs, quelqu’un de très respectueux au quotidien. Il travaille encore et toujours, ne se disperse jamais. Un professionnel comme peu.» Qui passe un temps fou à soutenir à l’infirmerie son ami Abou Diaby, toujours en convalescence.
«Il connaît déjà le coup d’après, la suite de son projet», confie un membre du staff, qui ne le voit pas s’éterniser. «Mais qu’est-ce qui vous rend aussi sûr d’un départ de Diarra ? soupire Labrune. Il a un contrat de quatre ans. Et s’il part, vous n’allez pas me le reprocher ? Tout le monde était sceptique quand l’OM l’a embauché après un an sans jouer.» Il ajoute : «De toute façon, aujourd’hui, plus de 50 % des mouvements en France concernent des prêts et des joueurs libres de tout contrat.» Entre jeunes prodiges, vieux ressuscités, joueurs à peine arrivés et déjà partis, le fan marseillais voit défiler les visages et les noms, et peine à ne pas rayer la mention ambition.
Mathieu Grégoire